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c’est la sécularisation qu’on traduit par cette autre expression barbare de « laïcisme, » de « laïcisation. » Il faut que tout soit laïque, c’est la mode du jour ! Évidemment, s’il ne s’agissait que de maintenir l’état dans ses droits, de faire respecter la liberté des croyances dans les écoles, ce serait tout simple sans être nouveau. Depuis plus de quatre-vingts ans, la société française est sécularisée dans ses lois, dans son état civil, dans son existence tout entière. Elle est laïque, ce qui veut dire tout simplement que l’ordre temporel et l’ordre spirituel vivent dans une mutuelle indépendance en se respectant ; mais il est bien clair que ce n’est plus là ce qu’on entend, par la sécularisation, que ces mots d’enseignement laïque ont une tout autre signification : ils déguisent à peine l’exclusion de toute influence, de toute idée religieuse, et si M. le président du conseil se croit encore obligé à quelques ménagemens de langage, surtout devant le sénat, s’il se plaît, comme il l’a fait récemment, à mettre en lumière les doctrines spiritualistes, chrétiennes, de la jeune Université sur la vie future, sur l’immortalité de l’âme, on le laisse dire.

Le sens réel des réformes auxquelles M. le ministre de l’instruction publique prête son nom, il est donné bien plutôt par M. Paul Bert, qui n’a nullement caché ses opinions, en discourant longuement l’autre jour sur l’enseignement laïque ; il est donné par M. Gambetta lui-même, qui appelait hier Auguste Comte « le plus grand penseur du siècle, » qui a installé, — il l’a cru du moins, — la royauté de la philosophie positiviste en pleine Sorbonne, « dans cette Sorbonne longtemps vouée à un autre idéal et à d’autres doctrines, mais qui, grâce à l’effort du temps et au concours d’hommes nouveaux, se dégage peu à peu des ombres du passé pour jeter les bases d’une véritable science positive… » Voilà qui est clair, et la jeune Université, les professeurs de la Sorbonne doivent être satisfaits des complimens que M. le président de la chambre est allé leur porter chez eux, dans leur propre maison ! Le sens des lois nouvelles, il est donné aussi, et même d’une façon toute pratique, par le conseil municipal de Paris, qui le plus souvent n’est désavoué ni par M. le préfet de la Seine ni par M. le ministre de l’instruction publique. Là est la vérité vraie sur la signification de tous ces projets qui se discutent depuis quelques jours dans les deux chambres. Ce qu’on veut, c’est substituer à de traditionnelles habitudes d’éducation chrétienne ce qu’on appelle l’éducation scientifique. Au lieu de respecter de vieilles mœurs et de s’en tenir simplement à la liberté sous l’impartiale surveillance de l’état, on prétend tenter d’autorité, avec toutes les ressources publiques, la plus redoutable des entreprises sur la jeunesse populaire de la France pour arriver à cette unité nationale nouvelle dont parlait un jour M. le président du conseil. C’est justement ce qui caractérise la politique de secte, et on ne voit pas bien jusqu’à quel point M. le ministre de l’instruction publique