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suffisamment rassurante. Elle révèle une puissance de travail et de production, une élasticité de ressources, des profusions d’activité qui sont la force du pays. Ceux qui sont aujourd’hui au pouvoir recueillent les fruits de l’énergique et prévoyante sagesse qui a été déployée au lendemain de nos désastres, dans l’adversité. Ils ont maintenant l’abondance, justement cette abondance que le baron Louis proclamait difficile à gouverner. C’est à eux de comprendre cette difficulté qu’il y a toujours à gouverner la prospérité, de ne point abuser d’une fortune qui, après tout, si brillante qu’elle paraisse, reste à la merci de bien des circonstances prévues ou imprévues, Rien n’est certes plus satisfaisant, plus flatteur que de pouvoir montrer la facilité avec laquelle la France répare ses pertes, la rapidité avec laquelle les recettes de l’état s’accroissent par le mouvement naturel de la richesse publique et de compter les plus-values d’impôts par 50, 60 et 100 millions. Rien de plus heureux que cette progression constante des ressources qui permet de se donner, un peu promptement peut-être, le luxe de dégrèvement successifs dépassant déjà 200 millions. C’est le beau côté de nos finances, celui qu’on est toujours fier de montrer. Il n’est pas moins vrai que dans cette situation si complexe, composée de tant d’élémens divers, tout n’est pas également favorable, que ces excédens dont on tire vanité sont plus qu’absorbés d’avance et que, si les ressources vont Sans cesse en croissant, la progression des dépenses est plus rapide encore. La puissance contributive du pays grandit chaque jour, assure-t-on, — la puissance dépensière de l’état ne grandit pas moins. Depuis quelques années seulement, depuis 1875, tout compte fait, l’augmentation est de 200 millions ou à peu près, et c’est probablement avec l’intention de donner sous une forme plus significative un conseil utile que le rapporteur du sénat se plaît à énumérer ces chiffres des derniers budgets : 2,626 millions en 1875, 2,680 millions en 1876, 2,717 millions en 1877, 2,754 millions en 1878, 2,916 millions en 1879.

Les chiffres sont éloquent ! Encore quelques années, on aura doublé le cap redoutable du troisième milliard, et celui-là aussi, une fois qu’on l’aura doublé, on pourra le saluer comme on saluait autrefois le premier milliard, avec la certitude de ne plus le revoir. Ce n’est pas tout, ce n’est même pas ce qu’il y a pour le moment de plus caractéristique dans nos finances. A côté de ce budget extraordinaire déjà énorme et toujours grossissant, on a trouvé ingénieux de placer un budget extraordinaire entretenu par l’emprunt, destiné à subvenir particulièrement à la reconstitution du matériel militaire qui se poursuit encore et aux grands travaux publics qui ont été décrétés il y a deux ans. Est-ce là une création heureuse ? Ce n’est pas la première fois que ce budget extraordinaire fait son apparition dans nos finances, et il a toujours eu un caractère assez équivoque, il a toujours ressemblé à un expédient