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esprit ; mais discuter Rembrandt, même dans ses griffonnemens cela est d’un âne !

On trouve dans l’Œuvre de Rembrandt deux documens précieux, sept lettres du maître, et l’inventaire de son mobilier, vendu en 1657. Qui ne sait que Rembrandt, perdu de dettes à la fin de sa vie fut exproprié par autorité de justice ? Rien de plus curieux que cet inventaire qui vous fait pénétrer dans la demeure de Rembrandt. Il semble qu’on va le voir lui-même à son chevalet occupé à se peindre en pourpoint et en toque de velours noir, ou à sa table de graveur faisant mordre une eau-forte. Cette petite maison de la Breestraat « près de l’écluse Saint-Antoine, » qu’on peut voir encore aujourd’hui à Amsterdam, était un vrai nid de peintre et d’antiquaire. Le mobilier proprement dit paraît un peu sommaire. Une dizaine de chaises espagnoles, recouvertes de cuir de Russie ou de coussins de velours, quelques tables de noyer et de chêne, deux glaces à cadre d’ébène, une presse en bois des îles, un vase de marbre à rafraîchir, une armoire à linge, un lit avec deux oreillers, un vieux bahut, un garder-manger, un pot à eau en étain, neuf assiettes blanches et deux plats de terre, c’est bien le strict nécessaire. Mais quels trésors, quelles richesses, quel pittoresque bric-à-brac aux murailles, dans les cartons, dans les casiers ! Plus de cent tableaux, des Brouwer, des Carrache, un Raphaël, un Hals, un Bassano, un Lucas de Leyde, et des Rembrandt, — bien authentiques, ceux-là, — de quoi remplir tout le salon carré du Louvre des montagnes d’estampes les plus rares de Mantegna, d’Albert Dürer, de Tempesta, de Lucas Cranach, de Goltzius, de Holbein ? puis des moulages sur nature, des statuettes, des bustes, des armes anciennes, des étoffes brillantes, des costumes, des instrumens de musique, des porcelaines, des chinoiseries ; enfin des choses étranges, des calebasses, une pièce d’artillerie, le masque en plâtre du prince Maurice moulé après sa mort, des bois de cerf, des oiseaux empaillés, des coquillages, « un nègre moulé sur nature, » un hamac, des plantes marines. Balzac n’a pas imaginé mieux dans sa fantastique description de la Peau de chagrin.

Nous avons dit que M. Charles Blanc ne parle pas de l’œuvre peint de Rembrandt Nous ne voudrions pas qu’on prit nos paroles tout à fait au pied de la lettre. Dans une excellente introduction qui ne pèche que par des transitions mal ménagées, — l’auteur, voulant tout dire en quelques pages, y passe brusquement d’une idée à une autre ; — M. Charles Blanc esquisse à grands traits le génie de Rembrandt. Il a très bien caractérisé ce maître de la lumière et de l’expression, qui fut le magicien du clair-obscur et qui porta si loin la puissance du modelé et l’apparence du relief que ses têtes semblent sculptées dans la pâte.

La Vie et l’Œuvre de J.-F. Millet, manuscrit posthume d’Alfred Sensier, publié par M. Paul Mantz, est un des livres les plus curieux et les plus attachans qui aient paru depuis longtemps. Grâce aux nombreux