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symphonies, ses trios, ses pièces pour piano et violon, peuvent appartenir au passé ; les difficiles leur reprocheront de n’avoir que des qualités négatives, les vrais amateurs se laisseront charmer et goûteront cette musique, aisément conçue, clairement rendue, comme de fins lettrés goûtent une page d’excellent style. Ses Mélodies sont, à mon sens, les moins inspirées de ses œuvres, y compris la célèbre Berceuse, trop variée et colportée, et qui dut le meilleur de son succès au violoncelle de Jacquart. En revanche, ses opéras-comiques ont de la valeur, et sur les quatre il s’en rencontre un, le Père Gaillard, qui n’aurait pas dû quitter le répertoire. Cela ne ressemble ni à du Boïeldieu ni à de l’Herold, vous n’y trouverez ni l’insolation rossinienne, ni la coloration de Weber. C’est de la musique française, bien française, du bon vieux vin de notre cru, quelque chose de sentimental et de grivois, de narquois et d’austère, l’éclat de rire de Méhul dans l’Irato.

Attristé, dégoûté par l’insuccès de ses derniers ouvrages, M. Reber s’était, vers la fin, tout à fait retiré du mouvement, où d’ailleurs il ne se mêla jamais beaucoup. « Ne pèse pas sur elle, ô terre, elle a si peu pesé sur toi. » Cette épigramme d’un ancien nous hante l’esprit à son sujet : n’était-il pas lui-même un ancien ? Il ne lisait plus rien, il relisait ; à peine fréquentait-il quelques rares amis : l’intime Sauzet, toujours en verve, Saint-Saëns, le disciple préféré qui va le remplacer à l’Institut, et, tant qu’elle vécut, cette noble Louise Bertin, — âme de musicienne et de poète, — à laquelle il dédia la meilleure de ses symphonies.

La saison est favorable aux jeunes ; tandis que l’un triomphe à l’Opéra, l’autre conduit le bal au Châtelet. M. Alphonse Duvernoy, un jour qu’il s’ennuyait de n’être qu’un brillant pianiste, imagine de concourir pour le prix de la ville de Paris, et du premier coup il décroche la timbale : Recta omnium brevissima. C’est la devise de M. Guizot mise en musique. Il y a six mois, l’auteur de la Tempête n’eût même pas obtenu la promesse d’un libretto pour la Renaissance ; aujourd’hui, le voilà plus avancé qu’un prix de Rome et marchant l’égal de M. Léo Delibes. Je renvoie à l’éloquence officielle de M. Perrin ceux qui désireraient se renseigner à fond sur l’historique de ces concours dus à l’initiative de M. Herold, préfet de la Seine, et mécontente en passant de proclamer bien haut le mérite d’une institution qui en deux ans nous aura valu deux partitions du meilleur aloi : le Tasse de M. Benjamin Godard et la Tempête de M. Alphonse Duvernoy. On qualifie ces choses-là de poèmes symphoniques ; ne vous y fiez point, ce sont bel et bien des opéras en trois parties qui deviendraient trois actes dès demain s’il existait un théâtre lyrique. Dire de M. Alphonse Duvernoy qu’il est un tempérament d’artiste serait répéter un lieu-commun. Nourri dans le