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valse lente. N’insistons pas davantage sur la manière dont le style instrumental est traité, cette intelligence de l’orchestre n’ayant rien qui doive tant nous surprendre chez un musicien doué comme M. Widor, d’une perception nerveuse des plus subtiles et vivant en puissance de l’orgue, l’instrument polyphonique par excellence ? l’organiste moderne, tel qu’on se le figure après toutes les découvertes de la science, après Wéber, Meyerbeer, Berlioz, Richard Wagner, — dès qu’il s’assied à son clavier, entre en rapport magnétique avec les âmes des grands maîtres sonoristes, il entend des voix, et quand il a, comme l’auteur de la Korrigan, la personnalité et la main-d’œuvre, il les transcrit à son profit.

M. Widor emploie volontiers les instrumens à vent, trop volontiers peut-être, car il néglige à cause d’eux les instrumens à cordes, ce qui nuit par momens à l’ampleur, de son orchestre. C’est là une simple question de quatuor, mais dont il va falloir se préoccuper en écrivant des opéras, vu que ce qui peut être un avantage dans un ballet, dans une symphonie, où la coloration tient une si large place, serait moins de saison dans une œuvre dramatique composée à la fois pour les voix et pour l’orchestre. Il y a là une difficulté, un conflit d’où Berlioz lui-même, avec tout son génie, ne s’est jamais tiré. Quelle chose admirable serait sa Damnation de Faust si le drame chanté et le drame symphonique y brillaient d’une égale splendeur ! Malheureusement, dès que Berlioz écrit pour les voix, sa musique se convulsionne : vous diriez un poisson dans du sable. Autant il réussit aisément à soulever les masses de l’orchestre, autant il lui en coûte d’efforts pour donner aux moindres paroles une expression mélodique, et si des trois figures qu’il met en scène, celle de Méphisto est la mieux venue, c’est que l’instrumentation lui en fournit complaisamment la caractéristique. Embouchez la trompette et le basson, au-dessus du tissu chromatique faites grincer, siffler la petite flûte, à l’instant vous évoquez le diable d’enfer avec ses cornes ; tenez-vous à voir Oberon et Titania vous apparaître ? pincez les harpes et demandez à l’harmonica ses vibrations. L’instrument auquel, dans la Korrigane, obéissent les esprits de l’air, s’appelle le typophone-Mustel, un singulier nom, moins poétique assurément que l’harmonica d’où il dérive, car les noms ont beau changer, la résonance ne varie pas ou varie peu, et c’est toujours le même instrument dont, au dernier siècle, on attribua l’invention à Franklin, qui, dès 1746, s’appelait à Londres musical glasses et, sous les doigts de Gluck, s’épandait en ondes sonores. On ne s’imagine pas la vogue de l’harmonica vers cette époque ; deux proches parentes de Benjamin Franklin, Marianne et Cecilia Davies, l’avaient mis à la mode en France et en Italie ; quant à l’Allemagne, il va sans dire que le werthérisme trouva sa note spéciale dans cette musique sentimentale et portant sur les nerfs. Une virtuose florissait alors à Vienne dont le jeu produisait un tel