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Lorsque le temps est calme et la lune sereine,
Quelle est, gens du pays, cette blanche sirène,
Qui peigne ses cheveux, debout sur ce rocher ?
Oh ! c’est là, voyageur, une touchante histoire,
Mon père me l’a dite, et vous pouvez y croire…
O merveilleux conteur, merci pour ton histoire,
Elle est triste, mais douce, et mon cœur y veut croire.


Sans remonter jusqu’à Chateaubriand, trop haut placé, et pour m’en tenir au coteau modéré, ils sont deux : Brizeux et Souvestre, à qui les amateurs de traditions celtiques peuvent s’adresser ; Emile Souvestre donnera le motif et Brizeux se chargera du pittoresque et du décor.

« Tous les peuples d’Europe ont admis deux races de nains, l’une malveillante et impie, l’autre amie des hommes. La première est représentée en Bretagne par les Korigans, la seconde par les Teux. Le Teu n’est autre chose que le lutin d’Ecosse et d’Irlande qui aide les laboureurs dans leurs travaux et que le Bergmannlein qui se met au service des bergers de l’Oberland. Anciennement, disait un de ces derniers à Grimm, les hommes habitaient dans les vallées, et tout autour de leurs habitations se tenait dans les cavités des rochers le petit peuple nain… Ces gnomes, comme ceux du Harz, pouvaient se rendre invisibles au moyen d’un capuchon. Mais ils commettaient souvent des vols de pain ; et de petits pois ; les propriétaires dépouillés n’avaient alors d’autre ressource que débattre l’air avec des verges, et, s’ils réussissaient à faire tomber un des capuchons, le nain qui le portait devenait visible, et on le forçait à payer une indemnité[1]. » Je m’étonne que M. Coppêe n’ait pas utilisé cette idée, il y aurait eu là matière à figurations épisodiques. On se représente une troupe de jeunes gars et de belles filles cinglant de leurs baguettes le vide ambiant où fourmillent, inaperçus, mille diablotins dont une musique pittoresque vous dénonce la présence. Un capuchon tombe sur la scène, puis deux, puis trois, et korrigans de se montrer en rechignant. Il en arrive de tous les coins, la mine renfrognée, perclus, moulus de la volée de bois vert, puis, se remettant bientôt, on les voit prendre leur revanche, rosser à leur tour les garçons et lutiner les filles qu’ils emmènent. Et pendant que nous sommes en train de varier le thème, rien ne nous empêche d’entr’ouvrir une autre perspective. De fait, la légende ignore les korriganes, elle ne connaît que des korrigans, lesquels ne procréent qu’en s’unissait avec des filles de la terre détournées par eux. Vous rendez-vous compte de ce que serait comme personnage de ballet une créature issue de ce commerce fantastique ? On la suivrait dans sa double origine, tantôt

  1. Emile Souvestre, le Foyer breton, t. I, p. 200.