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d’avoir pour premier ministre le beau-frère d’un souverain étranger ; que sa propre élévation serait un obstacle invincible à la carrière brillante qu’elle rêve pour son frère ; alors, prenant conseil de ce dévoûment absolu dont elle fait si souvent parade, elle se serait sacrifiée à la fortune politique d’Endymion. On lui aurait enfin découvert une autre pensée que des rêves égoïstes ; cet acte de désintéressement, ce généreux sacrifice, eût suffi à ennoblir son caractère.

C’est là le côté faible du livre. Ni Endymion ni sa sœur n’éveillent la sympathie, et l’intérêt ne sait où se prendre. Les autres personnages sont purement épisodiques ; quelques-uns, particulièrement Waldershare et lady Beaumaris, sont peints sous des couleurs aimables, mais ils ne font que traverser l’action sans qu’on ait le temps de s’attacher à eux. L’esprit seul trouvera donc satisfaction dans la lecture d’Endymion, mais aussi que de pages charmantes, que d’observations fines, que de traits amusans ! On a pu reprocher parfois au style de lord Beaconsfield une certaine surcharge d’ornemens, un peu de pompe et quelque affectation. Ces petits défauts semblent avoir complètement disparu ; jamais la phrase n’a été plus nette, plus vive en son allure, plus dépouillée de tout alliage et plus aiguisée. Le vieux manoir d’Huxley, le donjon de Montfort, le célèbre tournoi donné par lord Eglinton, ont fourni matière au talent descriptif que l’on reconnaît à l’auteur ; mais ces descriptions elles-mêmes sont plus sobres, plus contenues, elles sont ramenées aux traits essentiels, et leur brièveté relative en fait mieux ressortir la vivacité et l’éclat.


IV

Il était impossible que le moraliste ne trouvât pas son compte chez un auteur qui est au nombre des observateurs les plus fins et les plus pénétrans de la nature humaine. On rencontre dans Endymion une série de personnages qu’on pourrait appeler les victimes de la richesse. C’est d’abord Mrs Neuchâtel, la femme du riche banquier, pour laquelle la colossale fortune de son mari est un sujet continuel de préoccupations et presque de regrets. Est-il juste, se demande-t-elle constamment qu’il y ait des gens aussi riches, lorsqu’il y a tant de pauvreté et tant de souffrances en ce monde ? N’y a-t-il pas dans la possession d’une aussi grande fortune un danger moral, une responsabilité accablante ? Cela n’appelle-t-il point quelque compensation terrible ? Chaque entreprise qui réussit à son mari, chaque faveur qui le vient trouver ajoute aux terreurs de l’excellente femme qui cherche à conjurer, à force d’aumônes et de