Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 42.djvu/908

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

résigné à ignorer la main bienfaisante à qui vous en étiez redevable ; vous avez joui paisiblement et allégrement de cette fortune comme si elle était votre héritage ou le fruit de votre travail. Plus tard, devenu riche et puissant, le hasard d’une indiscrétion vous fait découvrir la femme généreuse qui a pris vis-à-vis de vous le rôle de la Providence ; et vous croyez vous acquitter en déposant dans la corbeille d’Adrienne Neuchâtel un diadème en brillans. Vous rendez l’argent, jeune homme, mais vous l’avez gardé bien longtemps !

Abordons une question plus générale. Quel est le but que ces deux jeunes gens assignent à leur existence ? Pourquoi tant de travail et tant d’efforts ? Myra est comtesse, elle est la femme d’un ministre ; son frère a la carrière politique toute grande ouverte devant lui ; les préoccupations ne diminuent point, les désirs restent aussi intenses et les démarches aussi actives : que veulent-ils donc ?


Endymion, dit Myra, vous ne devez pas hésiter. Nous ne devons jamais perdre de vue le grand objet de notre existence, l’objet pour lequel, sans doute, nous sommes nés jumeaux : relever notre maison, la tirer de la pauvreté et de l’abaissement, de la misère et de l’abandon sordide pour la replacer au rang et dans la situation que nous revendiquons et que nous croyons mériter. Ai-je hésité, moi, quand une proposition de mariage m’a été faite, et la plus inattendue qui se put présenter ? J’ai épousé, il est vrai, le meilleur et le plus grand des hommes ; mais que connaissais-je de ses qualités quand j’ai accepté sa main ? Je l’ai épousé dans votre intérêt, je l’ai épousé dans mon intérêt, dans l’intérêt de la maison de Ferrars que je voulais relever et retirer du gouffre au fond duquel elle était descendue. Je l’ai épousé pour nous assurer à tous les deux cette occasion de déployer nos qualités qui nous manquait et qu’il suffisait de nous rendre pour nous faire remonter à la puissance et à la grandeur.


Parvenir, être riches et puissans, voilà donc le but unique que le frère et la sœur assignent à leur existence ! Ils ne voient, ils ne souhaitent rien au delà, et pour atteindre cet unique objet de leurs pensées, la sœur n’a pas hésité à risquer son bonheur domestique, et elle presse son frère de se jeter dans une aventure. Que la richesse et l’influence séduisent et satisfassent les esprits vulgaires, cela ne saurait se contester ; mais ceux qui leur dressent des autels dans leur cœur ne prétendent point aux éloges et à l’admiration de leurs contemporains. Le pouvoir est-il par lui-même, dans cette vie, un but assez noble et assez élevé pour que la poursuite on soit digne d’approbation et de sympathie ? Pour une âme haute