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cette maison à M. Dupanloup. L’aristocratique prélat n’était pas fait pour apprécier la direction toute cléricale de l’abbé Frère ; il aimait la piété, mais la piété mondaine, de bon ton, sans barbarie scolastique, ni jargon mystique, la piété comme complément d’un idéal aristocratique, qui était, à vrai dire, sa principale religion. Si Hugues ou Richard de Saint-Victor se fussent présentés à lui comme des pédans ou des rustres, il les eût pris en maigre estime. Il avait pour M. Dupanloup la plus vive affection. Celui-ci était alors légitimiste et ultramontain. Il a fallu les exagérations des temps qui ont suivi pour intervertir les rôles et pour qu’on ait pu le considérer comme un gallican et un orléaniste. M. de Quélen trouvait en lui comme un fils, partageant ses dédains, ses préjugés. Il savait sans doute le secret de la naissance. Les familles, qui avaient veillé paternellement sur le jeune ecclésiastique, qui en avaient fait un homme bien élevé et qui l’avaient introduit dans leur monde fermé, étaient celles que connaissait le noble archevêque et qui formaient pour lui les confins de l’univers. J’ai vu M. de Quélen ; il m’a laissé l’idée du parfait évêque de l’ancien régime. Je me rappelle sa beauté (une beauté de femme), sa taille élégante, la ravissante grâce de ses mouvemens. Son esprit n’avait d’autre culture que celle de l’homme du monde d’une parfaite éducation. La religion était pour lui inséparable des bonnes manières et de la dose de bon sens relatif que donnent les études classiques. Telle était aussi la mesure intellectuelle de M. Dupanloup. Ce n’était ni la belle imagination qui assure une valeur durable à certaines œuvres de Lacordaire et de Montalembert, ni la profonde passion de Lamennais ; l’humanisme, la bonne éducation, étaient ici le but, la fin, le terme de toute chose ; la faveur des gens du monde bien élevés devenait le suprême critérium du bien. De part et d’autre, absence complète de théologie. On se contentait de la révérer de loin. Les études théologiques de ces hommes distingués avaient été très faibles. Leur foi était vive et sincère ; mais c’était une foi implicite, ne s’occupant guère des dogmes qu’il faut croire. Ils sentaient le peu de succès qu’aurait la scolastique auprès du seul public dont ils se préoccupaient, le public mondain et assez frivole qu’a devant lui un prédicateur de Saint-Roch ou de Saint-Thomas-d’Aquin.

C’est dans ces dispositions d’esprit que M. de Quélen remit entre les mains de M. Dupanloup l’austère et obscure maison de l’abbé Frère et d’Adrien de Bourdoise. Le petit séminaire de Paris n’avait été jusque-là, aux termes du concordat, que la pépinière des prêtres de Paris, pépinière bien insuffisante, strictement limitée à l’objet que la loi lui prescrivait. C’était bien autre chose que rêvait le nouveau supérieur porté par le choix de l’archevêque à la