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Les anciens ont connu quelques moyens d’anesthésie locale. Pline et Dioscoride parlent d’une certaine pierre de Memphis qui s’appliquait sur les parties que l’on voulait rendre insensibles. On la broyait et on la délayait dans du vinaigre. M. Littré croit que la pierre était quelque carbonate de chaux dont le vinaigre dégageait l’acide carbonique. Ce gaz, mis en rapport avec la peau, produit, en effet, un état d’insensibilité très appréciable et que les anciens avaient pu remarquer. D’ailleurs, cette propriété a été appliquée en des temps plus voisins. En 1771, Percival employait, pour insensibiliser les sujets, des bains d’acide carbonique. Malgré les efforts de quelques médecins, Simpson, Scanzoni, Follin, Monod, Demarquay et Broca, l’anesthésie carbonique est restée sans application usuelle et n’a gardé qu’un intérêt de curiosité scientifique.

Aussi bien l’on possédait déjà des moyens beaucoup plus sûrs. Une observation commune avait conduit à utiliser la réfrigération pour rendre insensibles les parties à opérer. Tout le monde sait que le froid très vif engourdit les membres et les rend incapables de recueillir les impressions du tact et de la douleur. Les chirurgiens avaient profité de cet engourdissement. A la bataille d’Eylau, par un froid de 10 degrés, les opérations ne provoquaient presque pas de douleur ; pendant la campagne de Russie, Larrey amputa la cuisse à un jeune soldat adossé à un pan de mur, et qui soutenait lui-même le membre mutilé, pendant que quelques camarades maintenaient un manteau au-dessus de sa tête, pour le préserver de la neige. — De là est née l’idée d’employer la réfrigération artificielle pour pratiquer quelques opérations très simples. On appliquait de la glace ou un mélange réfrigérant sur la partie dolente et l’incision était faite sans autre souffrance que celle même que le froid est capable de produire. — Il y a des moyens plus commodes d’arriver au même résultat. L’évaporation des liquides volatils, lorsqu’elle est rapide, produit un abaissement de température qui peut être considérable. On versait donc de l’éther sur la région à opérer jusqu’au moment où la douleur n’était plus sentie. L’insensibilité était d’autant plus complète que l’évaporation était plus active. Pour l’accélérer, M. Richet, en 1854, employait un soufflet dont on dirigeait le courant d’air sur les points de la peau où l’éther tombait goutte à goutte. Les appareils pulvérisateurs inventés par Richardson ne sont qu’un perfectionnement de cet outillage un peu primitif. Mais les pulvérisations d’éther, si convenables d’ailleurs à produire l’anesthésie locale, offrent un inconvénient. Les vapeurs sont inflammables ; mélangées à l’air, elles sont explosives. On ne peut donc opérer dans une chambre où il y aurait de la lumière ou du feu ; on s’interdit l’emploi du fer rouge