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année même, il a fait en France, dans le public médical, une apparition qui n’a pas été sans éclat. Or, il y a bien près de quarante ans qu’il avait été essayé comme anesthésique, trouvé bon, prôné en conséquence et appliqué sans interruption. En 1849, un chirurgien de Leeds, en Angleterre, M. Nunnely, l’avait essayé d’abord sur les animaux ; il put en constater la puissance anesthésiante et il prit soin de la publier ; puis il adopta le nouvel éther dans sa pratique particulière pour les opérations sur les yeux et les oreilles. Il y a environ trois ans, deux chirurgiens de Philadelphie, MM. Turnbull et Lewis, l’introduisirent dans l’usage des hôpitaux ; depuis quelques mois, les chirurgiens de Paris en font l’essai.

Le bromure d’éthyle offre tous les caractères des éthers anesthésiques ; il est extrêmement volatil. Il paraît agir comme un insensibilisateur très puissant, caractérisé par la soudaineté de ses effets et l’instantanéité de leur disparition. La théorie permettait donc de prévoir que son action énergique et brusque paralysera d’emblée les centres nerveux, sans s’attarder à les exciter au préalable. Aussi, avec le bromure d’éthyle, le chirurgien n’aura pas à redouter la période d’excitation, réactionnelle dont l’éther donne un tableau si fâcheux ; d’autre part, le malade ne sera pas autant exposé à la syncope mortelle par excitation du bulbe. En revanche, l’accident ultime qui clôt la scène dans les cas d’anesthésie prolongée, l’arrêt de la respiration par paralysie du bulbe, sera plus imminent : dans les opérations de longue durée, le bromure d’éthyle présentera des dangers supérieurs à ceux de l’éther et du chloroforme.

La réelle supériorité du bromure d’éthyle est dans son application à l’anesthésie locale.

Les procédés d’anesthésie locale consistent à rendre insensible la seule partie sur laquelle doit porter l’opération. Si l’on pouvait trouver un agent qui remplit complètement les conditions de la définition, l’on n’aurait plus besoin de recourir à l’anesthésie généralisée. Il serait infiniment plus avantageux de laisser au patient le mouvement, la sensibilité, l’intelligence, les conditions habituelles de la santé et de ne rendre insensible que la région qui doit être mutilée. Mais la physiologie laisse bien peu d’espoir qu’un tel procédé puisse exister et qu’une substance quelconque soit capable d’agir, à distance, sur les élémens des tissus, sans être introduite dans le sang. Quoi qu’il en soit, dans l’état actuel des choses, le procédé n’est applicable qu’aux petites opérations superficielles, incision d’abcès, d’anthrax, de panaris, pratiquées dans la petite chirurgie, car l’insensibilisation ne s’étend point profondément au-dessous de la peau.