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une opération chirurgicale. Ce qui conviendrait, dans la conjoncture présente, ce serait l’analgésie ; la femme conserverait ainsi l’exercice de sa volonté et de ses mouvemens ; elle pourrait « voir, entendre, parler, avoir conscience de ce qui se passe en elle et seconder librement par ses efforts, et sans crainte de souffrir l’œuvre de la parturition. » On devait prévoir que la méthode mixte, l’association de la morphine et du chloroforme, est, entre tous les moyens, le plus propre à amener le résultat désiré, l’indoloréité complète avec conservation des fonctions cérébrales. Un praticien distingué, le Dr Guibert, de Saint-Brieuc, l’a appliqué, dès l’année 1872 avec le plus heureux succès, dans les accouchemens laborieux.

On n’avait pas attendu de connaître la méthode mixte pour soulager les douleurs de l’enfantement. Les services que l’on demande maintenant au chloroforme associé avec la morphine, on les avait demandés jusqu’ici à l’un ou l’autre de ces agens employé isolément. Quelques médecins pensèrent avoir atteint le but et adoptèrent la chloroformisation dans leur pratique journalière ; d’autres en contestèrent les succès et les contesteront jusqu’à leur dernier souffle. L’école fut divisée : elle l’est encore. Les discussions médicales ne finissant généralement que par la mort des champions, on continuera à discuter ; mais dès à présent, en dehors des théories, germes d’éternelles discordes, il y a des faits positifs qui ne seront plus ébranlés.

C’est, en effet, la théorie de l’anesthésie obstétricale qui a nui à la pratique. Les accoucheurs ont imaginé que l’anesthésie ordinaire avait des degrés successifs : un premier degré qui produit un soulagement général ; un second degré, l’indoloréité, dans lequel la souffrance paraît comme voilée, dolor velo obdurtus ; un troisième degré, qui est l’analgésie parfaite, la perte totale, mais isolée, de la sensibilité à la douleur. Au-delà se trouve placée la véritable anesthésie chirurgicale, l’abolition du sens du tact, l’anéantissement de la motilité. Cette loi de succession est peut-être réelle ; mais il est non moins réel qu’elle rencontre plus d’exceptions que d’applications, sans qu’on sache expliquer les écarts. Aussi vaut-il mieux se contenter de dire que l’on a fait avec succès des milliers d’accouchemens avec le chloroforme. J. Campbell déclarait, en 1877, avoir chloroformé mille cinquante-deux femmes sur seize cent cinquante-sept accouchemens, avec l’avantage d’un soulagement très appréciable dans la plupart des cas. Le succès paraît dépendre surtout du mode d’administration. Il faut se maintenir à un point si précis, que le moindre écart dû à la tactique d’inhalation ou aux prédispositions du sujet le rejette en-deçà ou au-delà, dans l’agitation ou dans l’inertie complète. Les accoucheurs anglais