Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 42.djvu/881

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

naturel, la seule d’entre les fonctions normales qui s’accomplisse au milieu des douleurs, l’accouchement, dont il faut amortir les souffrances. Ce cri de détresse de la parturiente arrivée au summum de l’agonie du travail, tandis qu’elle est clouée sur sa couche, inondée de sueurs et de larmes, cet appel au secours qu’elle redit cent fois avec une énergie poignante : « Soulagez-moi ! » les médecins l’ont entendu. Dès le moment où l’anesthésie fut découverte, ils songèrent à en tirer parti pour alléger les douleurs de l’enfantement. Le 19 janvier 1847, James Simpson employait pour la première fois l’éther chez une femme en travail ; deux ans plus tard il annonçait quinze cent dix-neuf succès sur quinze cent dix-neuf accouchemens. Son exemple fut bientôt suivi en Écosse, en Angleterre, en Allemagne et puis en France. Le 7 avril 1853, James Clark, médecin de la famille royale d’Angleterre, faisait administrer le chloroforme à la reine, qui accouchait de son huitième enfant : beaucoup de femmes anglaises imitèrent l’exemple que leur donnait « la première dame du pays. » Mais quelques personnes, emportées par un zèle mal raisonné, blâmèrent cette conduite au nom des scrupules religieux. Elles y voyaient une dérogation à la sentence de l’Écriture : Paries in dolore : Tu enfanteras dans la douleur. Des écrivains qui n’accouchent pas rappelèrent avec complaisance combien vaillamment la mère supporte ces souffrances et comme elle les oublie vite en pressant sur son sein l’enfant qu’elle vient de mettre au monde. « Il serait contraire au vœu de la nature, disaient-ils, d’arracher la mère au sentiment d’elle-même, de la priver d’entendre les premiers cris du nouveau-né et d’être le premier témoin de son entrée dans la vie. » Ces considérations ne rencontreraient pas grande faveur auprès de la principale intéressée ; au milieu de ses tortures, elle s’élèverait difficilement à la notion par trop virile, en l’espèce, de l’utilité de la douleur. — En tout cas, il y a contre l’anesthésie complète de la femme en travail, une objection physiologique plus grave : en annihilant la conscience et la volonté, elle entraverait le jeu naturel de la fonction. L’enfantement exige la participation active de la femme : ses efforts volontaires sont nécessaires pour la terminaison du travail. C’est là ce qu’entendaient les Romains, lorsqu’ils imaginaient que des divinités mâles, les Efforts, Di Nixi, prêtaient leur active assistance à l’enfantement, sous la surveillance de Lucine et des femmes, seules admises à cette mystérieuse opération. Nous ne voulons point donner les Romains comme alliés aux adversaires de l’anesthésie obstétricale ; nous voulons faire comprendre seulement qu’aucun homme de l’art n’a pu avoir l’idée d’insensibiliser les femmes en couches au même degré que le malade qui va subir