est trop grossier pour que l’on puisse se diriger avec sûreté entre ces deux écueils. On donne trop de chloroforme pour éviter d’en donner trop peu et l’on abolit d’un seul coup et en masse les phénomènes de l’intelligence, de la perception, de la sensibilité, qu’une action mieux graduée pourrait certainement dissocier.
Ce n’est point là une simple hypothèse : cette dissociation est en effet possible, grâce à la méthode combinée, et si le chirurgien n’a pas un grand avantage à la produire, le psychologue a, au contraire, un intérêt sérieux à l’observer. L’anesthésique opère sous ses yeux une analyse des fonctions nerveuses éminemment instructive. On voit persister la conscience, tandis que la perception a disparu. Le sujet a conservé le sentiment de lui-même et du monde extérieur ; il voit, il entend, il juge ; il répond avec convenance aux questions qu’on lui pose ; il obéit avec docilité aux ordres qu’on lui donne ; il sent le contact de l’instrument qui le mutile, mais il ne sent point la douleur. Il assiste comme un témoin indifférent à l’opération qu’il subit, n’éprouvant qu’un léger grattement en place des tortures intolérables qu’il souffrirait en d’autres temps. M. Nussbaum, dans une opération sur la face, disait au patient : « Ouvrez la bouche plus largement — et maintenant rejetez le sang, » et le malade ouvrait la bouche et rejetait le sang dont elle était remplie. Cette condition particulière, dans laquelle l’homme n’a perdu pour ainsi dire que la faculté de souffrir, c’est l’analgésie.
Cet état n’est pas spécial à la méthode combinée. On a pu l’obtenir dans d’autres conditions, soit avec la morphine isolée, soit avec le chloroforme, soit avec le chloral, soit en recourant à l’hypnotisme. Un médecin militaire, le docteur Taule, a vu un jeune Arabe subir une opération très douloureuse sans donner le moindre signe de douleur. Il avait demandé à être endormi par le hachich ; tout en paraissant satisfaire à sa demande, on lui avait en réalité administré simplement de l’opium. Pendant que le chirurgien opérait, l’Arabe fumait tranquillement et déclarait ne pas sentir autre chose que le grattement d’un couteau de bois. Un autre opéré, à qui l’on saisissait la langue avec une pince, s’écriait : « Otez-moi donc cette cigarette de la bouche. » Un maçon, regardant le chirurgien pendant qu’on lui sciait l’os de la jambe, lui disait : « Mais vous faites comme les tailleurs de pierre ! »
Tandis que ce phénomène singulier de dissociation psychique est rare ou exceptionnel lorsqu’on emploie les procédés habituels de la narcotisation ou de l’anesthésie, il est habituel lorsque l’on recourt à la méthode combinée.
Le fait de l’analgésie a inspiré une application nouvelle. Il ne s’agit plus cette fois d’une opération chirurgicale ; c’est un acte