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spécifique. L’avantage qu’ils présentent sur les composés chimiquement analogues est purement relatif : il tient à des conditions de détail, à une stabilité plus grande, à une conservation plus facile, à une action plus régulière sur l’organisme, à une innocuité plus complète. Tous les corps capables d’agir sur le protoplasme, c’est-à-dire sur la matière première des élémens et des tissus, sur la matière vivante, sont, en principe, des anesthésiques. Le premier effort de leur action universelle porte, en effet, sur les parties les plus délicates, c’est-à-dire sur les tissus nerveux, et parmi ces tissus sur ceux dont la fonction est la plus élevée, sur le cerveau et sur la moelle, instrumens des actes psychiques de la sensibilité et du mouvement. Si l’agression peut être arrêtée à ce moment, ils joueront le rôle d’anesthésiques véritables, et la chirurgie pourra les utiliser pour abolir le sentiment de la douleur, et les réactions de la motilité dans les opérations. Mais si, après ce premier effort, l’attaque trop impétueuse se précipite sans temps d’arrêt ni trêve, de manière à anéantir les autres fonctions nerveuses, alors ce ne sera plus qu’un poison redoutable. D’autre part, si l’action est trop lente, l’inconvénient, pour être d’une nature opposée, n’en sera pas moins rédhibitoire : la substance excitera les centres nerveux sans les anéantir, et l’effet en sera directement contraire à celui que recherche le chirurgien. Entre ces extrêmes, entre ces agens, ou trop ou pas assez mesurés, se classent dès à présent l’éther et le chloroforme, et bientôt peut-être en connaîtra-t-on d’autres encore. Plus ou moins loin d’eux il faut ranger la plupart des éthers, — chlorhydrique, azotique, acétique, chlorique, — tous les hydrocarbures et leurs dérivés éthyliques et méthyliques, le sesquichlorure de carbone, le tétrachlorure de carbone, la benzine, l’amylène. L’énumération n’est pas encore complète ; tous les composés du carbone, volatils ou gazeux, sont anesthésiques à la condition d’être insolubles dans l’eau. Le docteur Ozanam, en 1859, a posé une règle qui permet de préjuger l’énergie physiologique de l’agent d’après sa constitution chimique : le pouvoir anesthésique est proportionnel à la quantité de carbone. Nous devrions mentionner le chloral, essayé avec succès par le docteur Oré. Mais, très utile dans la pratique physiologique, le chloral, qu’il faut administrer par introduction dans les veines, présente de sérieux inconvéniens dans la pratique chirurgicale. Enfin, dans un groupe tout à fait à part, vient le protoxyde d’azote. Il suffira d’examiner ici cette application toute nouvelle, celle du bromure d’éthyle et celle de la méthode combinée, ou anesthésie mixte.

L’idée d’associer les anesthésiques entre eux, afin d’augmenter l’énergie de l’action ou d’en corriger les inconvéniens, a donné