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La propriété anesthésique du chloroforme n’est aucunement liée à ce genre d’influence qu’il exerce sur le réseau vasculaire. D’autres substances, le bromure d’éthyle, le chloral et l’éther, qui ont les mêmes vertus insensibilisatrices, exercent une influence toute contraire sur l’appareil circulatoire. En ce qui concerne l’éther, M. Arloing a démontré récemment par preuve péremptoire qu’il dilatait les vaisseaux du cerveau et qu’il augmentait ainsi l’irrigation de ses différens territoires. Il suffit encore d’observer la rougeur des pommettes et du lobule de l’oreille, l’injection de l’œil chez le sujet éthérisé, pour préjuger de l’abondance de la circulation cérébrale. Aussi l’éther, inférieur en cela au chloroforme, pré-dispose-t-il aux hémorragies en nappe, redoutées surtout dans les opérations sur la face. Dans le cas d’accidens au cours de l’éthérisation, quelle ressource pourrait offrir l’inversion préconisée par Nélaton ? On comprend bien que l’encéphale, déjà gorgé d’un sang empoisonné, ne réclame pas un surcroît nouveau. La méthode non-seulement n’est d’aucun secours, mais son seul effet serait d’aggraver une situation déjà périlleuse.

Les chirurgiens ont donc renoncé, sauf des indications tout à fait formelles, à cet expédient empirique. Pour combattre les périls de l’anesthésie profonde, ils ont recours à l’électrisation et à la respiration artificielle. On traite le sujet endormi comme un noyé ; on pratique l’insufflation bouche à bouche, on exerce des pressions alternatives sur la poitrine et sur l’abdomen ; on imprime au moignon de l’épaule des mouvemens rythmiques capables de dilater le thorax, on excite par l’électricité les nerfs qui président aux mouvemens du diaphragme. Tous ces divers moyens de faire pénétrer l’air dans la poitrine et d’entretenir la respiration sont très rationnels pour les cas où la fonction respiratoire est en effet menacée.

Mais autant ils sont rationnels et efficaces dans cette circonstance, autant ils sont irréfléchis et impuissans dans les cas où le danger vient du côté du cœur. Lorsqu’une irruption trop abondante de vapeur chloroformique, venant surexciter le bulbe rachidien, c’est-à-dire le rouage stimulateur de la respiration et modérateur du cœur, arrête les pulsations de ce dernier et accélère les mouvemens de la poitrine, il n’y a aucune nécessité de porter secours à la respiration, qui n’est pas en péril. Les chirurgiens qui, par une impulsion irréfléchie et toute d’habitude, perdent des instans précieux à flageller le malade et à le faire respirer de force, seraient beaucoup mieux inspirés en cherchant à ranimer le cœur immobile. Le seul moyen suggéré par la physiologie consiste à électriser énergiquement la colonne vertébrale à la limite de séparation du dos et du