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A l’excitation du bulbe succède sa paralysie. C’est alors la respiration qui est menacée. Le bulbe engourdi cesse de brider l’énergie du cœur, qui, livré à lui-même, se met à battre avec une vitesse désordonnée ; mais, dans le même temps et par la même raison, il cesse son office respiratoire, il ne sollicite plus à l’action les puissances respiratoires, la poitrine reste immobile, l’air ne s’y renouvelle plus. C’est en vain que le cœur lance dans les vaisseaux, à flots précipités, un sang qui, n’étant plus revivifié, n’a plus de vertu nourricière : le patient succombera à l’asphyxie.

Voilà les deux écueils principaux de l’anesthésie chirurgicale. Ils ne sont pas les seuls, mais ils sont de beaucoup les plus habituels et les plus inquiétans. C’est à eux que l’on doit attribuer le plus grand nombre des accidens qui ont refroidi l’enthousiasme excité par la découverte de l’anesthésie.

On n’était pas encore loin des débuts lorsque fut poussé le premier cri d’alarme. M. Sédillot, dès le 25 janvier 1848, signalait quatre cas de mort dans lesquels on pouvait incriminer l’agent anesthésique. D’année en année, la liste funèbre s’est accrue. Il ne faudrait pas imaginer cependant que ces cas mortels, qui peuvent rendre le chirurgien circonspect et l’opéré hésitant, soient très fréquens. Il n’en faut pas exagérer le nombre. Pendant la campagne de Crimée, sur vingt mille opérations, le chirurgien en chef, Baudens, ne signale que deux cas de mort. Pour la guerre du Danemark, en 1864, M. Oschwadt n’a pas constaté un seul accident. Il y a tel chirurgien, comme Nussbaum, de Munich, qui a pratiqué ou vu pratiquer quinze mille chloroformisations sans aucun accident mortel. La statistique la plus complète, celle de M. Duret, ne fait connaître depuis 1847 jusqu’à 1880 que 241 cas de mort pendant l’anesthésie chloroformique. Ce nombre est déjà regrettable. Mais si l’on réfléchit au chiffre énorme des chloroformisations exécutées en tous pays dans cette période de près de trente années, on appréciera à leur juste valeur les risques de la méthode anesthésique. On peut estimer que le nombre des cas mortels est moindre que la proportion de 1 à 5,000, en comptant sur la totalité, c’est-à-dire en faisant entrer dans la statistique et mettant à la charge de l’agent anesthésique tous les accidens qui reviennent légitimement à l’état du sujet et à la nature de l’opération.

Les ressources dont le chirurgien dispose contre les périls du chloroforme sont, il faut bien le reconnaître, tout à fait insuffisantes. Nélaton a proposé autrefois un procédé qui consistait à renverser le sujet, tête en bas, dès que l’on s’apercevait de l’imminence des accidens. Et, de fait, l’inversion totale lui permit dans quelques circonstances de sauver des malades dont la vie était très