Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 42.djvu/873

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

loi physiologique veut qu’avant d’être paralysés, ces centres moteurs soient surexcités. L’éther surtout occasionne une excitation extrême. Une agitation convulsive s’empare de tous les muscles, et cette émeute musculaire est particulièrement violente dans les muscles de la respiration. Les globes oculaires sont les premiers à se dérégler : leurs mouvemens, jusqu’alors associés, deviennent indépendans ; ils se meuvent en sens différens jusqu’à ce que, convulsés, ils se renversent derrière la paupière supérieure. Les dents sont serrées fortement, et il faut au chirurgien de vigoureux efforts pour écarter les deux mâchoires, pressées l’une contre l’autre. Le patient se débat, s’agite, se livre à des mouvemens désordonnés que le secours des aides a toutes les peines du monde à contenir. À cette scène bruyante succèdent bientôt le calme et la détente. Les parties nerveuses, tout à l’heure surexcitées, sont frappées de paralysie. Les mouvemens cessent, aussi bien les mouvemens volontaires que les mouvemens provoqués ou réflexes. Les membres flasques et inertes retombent lourdement lorsqu’on les soulève. L’imprégnation profonde de la moelle a éteint les fonctions du mouvement comme il avait supprimé tout à l’heure celles de la sensibilité. C’est le temps de la résolution musculaire. Alors se trouve réalisé le summum de l’effet utile des anesthésiques ; la vie de relation est éteinte ; la vie végétative subsiste seule, surveillée par le bulbe encore actif et le système sympathique encore intact. L’opérateur a devant lui un corps inerte qui n’est plus capable de sentir ni de se mouvoir : c’est le moment marqué pour son intervention.

Pendant que les aides essaient d’entretenir cet état propice, le chirurgien opère. Les soucis de l’opération ne le dispensent point d’une surveillance attentive. Le sujet est au point culminant : qu’un pas de plus soit fait dans la voie de l’empoisonnement, qu’une inspiration plus ample fasse pénétrer dans le sang un flot plus abondant de vapeur anesthésique, et le malade est en péril. L’ère des dangers est ouverte. Le dernier point du territoire nerveux qui résiste encore à l’envahissement, le bulbe, peut être pris à son tour. La première atteinte, ici comme toujours, se traduit par la surexcitation, et cette activité exagérée crée un premier péril. C’est du bulbe, en effet, que partent à la fois les impulsions nerveuses qui modèrent le cœur et le refrènent et celles qui activent la respiration. Les freins du cœur, renforcés par l’excitation du bulbe, vont triompher des forces qui le sollicitent au mouvement, et le moteur du sang s’arrêtera pendant que la respiration sera vainement accélérée. La syncope, c’est-à-dire l’arrêt du cœur avec persistance passagère de la respiration, voilà le premier péril de l’anesthésie auquel ont succombé bien des patiens.