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rudement pour que le sang coulât de ses blessures. — Il ne manifesta pourtant aucun signe de douleur. Ce fait frappa M. Wells comme un trait de lumière. Rapprochant le spectacle de cette insensibilité de celui tout contraire que lui donnaient ses opérations quotidiennes, il conçut la possibilité de supprimer à l’avenir la douleur du domaine de la chirurgie dentaire. Dès le lendemain, il entrait en action, et en présence de plusieurs témoins il se faisait extraire une dent après avoir respiré le gaz insensibilisateur ; il n’en éprouva pas plus de mal que d’une piqûre d’épingle. La démonstration était faite. A partir de ce moment, Wells ne vécut plus que pour publier sa découverte et propager sa méthode. Il l’annonce avec enthousiasme et l’applique sur un plus grand théâtre, à Boston, devant les membres du collège des médecins et devant son élève, son confrère et son ami, Morton. Il essaie d’obtenir une insensibilisation plus constante et plus soutenue, afin de rendre possibles les opérations de longue durée, les amputations et les ablations de tumeurs. Mais il n’obtient plus que des résultats incertains. Le protoxyde d’azote ne se prêtait pas à ce perfectionnement : le jour n’était pas venu où il pourrait s’introduire avec profit dans la grande chirurgie. Pendant que M. Wells usait son énergie dans cette vaine recherche dont le succès était réservé à notre temps, il se voyait ravir le fruit de son initiative et de ses efforts par son ancien ami Morton, associé au chimiste Jackson, lesquels, mieux inspirés que lui, avaient eu recours aux vapeurs d’éther. M. Wells en éprouva un chagrin profond qui empoisonna sa vie et finit par déranger son esprit. Lassé par les luttes qu’il soutenait, abreuvé de dégoûts, il s’ouvrit les veines dans un bain, le 14 janvier 1848, tandis qu’il respirait des vapeurs d’éther pour se procurer une mort plus douce, seul bénéfice qu’il dût retirer de sa découverte. L’un de ses antagonistes, Jackson, n’a pas été plus heureux. Atteint d’une forme grave d’aliénation mentale, il traîne dans une maison de santé les derniers jours d’une existence turbulente et toujours agitée.

Tandis en effet que Wells retrouvait la propriété anesthésique du protoxyde d’azote, signalée quarante ans auparavant par II. Davy, et qu’il en tirait le procédé d’insensibilisation dont font usage les dentistes du monde entier, Morton et Jackson, mis en éveil, retrouvaient de leur côté la propriété anesthésique de l’éther, connue depuis longtemps et essayée souvent, à titre curieux, dans les laboratoires de pharmacie ou dans ces réunions d’étudians et de médecins dont nous parlions tout à l’heure. Il paraît même constant que quelques praticiens l’avaient utilisée dans les opérations chirurgicales et parmi eux, un médecin de Jefferson (Géorgie) nommé Crawford Long, qui y recourait dès l’année 1842. Mais personne n’avait encore employé l’éther aussi hardiment et dans une