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catégorique. Elle passa inaperçue, et l’on renonça, malgré tant de promesses qu’elles contenaient, à ces curieuses épreuves que Davy avait mises à la mode. Et pourtant le fruit n’en fut pas entièrement perdu. De temps à autre, quelques chimistes renouvelaient avec d’infinies précautions les inhalations de gaz hilarant pour le simple profit que l’on trouve en science à répéter soi-même une expérience connue. D’autre part, le genre d’essais inauguré par Beddoes avec les « airs artificiels » se perpétua avec les vapeurs et les gaz déjà connus ou chaque jour découverts. L’habitude d’en éprouver l’action sur l’homme en les respirant ou les faisant respirer, resta en honneur, dans les laboratoires, auprès de quelques médecins et dans de petits cercles d’étudians.

C’est précisément à ce dernier reste d’un genre d’expérimentation condamné que nous devons la découverte de l’anesthésie. C’est une répétition de l’expérience de Davy qui inspira à Horace Wells l’idée de l’insensibilisation chirurgicale, et c’est une épreuve de respiration des vapeurs d’éther, répétée bien des fois auparavant, qui révéla à Morton la vertu anesthésique de cette substance. Voilà les vraies origines de la découverte qui surprit si inopinément le monde médical en 1846. C’était vraiment une invention européenne qui nous revenait d’Amérique. L’idée, le fait, la première application, tout cela s’était produit au milieu de nous sans éveiller l’attention d’esprits blasés par l’excès même de nos richesses. Et pour que l’humanité tirât un profit clair et certain de ces acquisitions de la science pure, il avait fallu qu’Horace Wells redécouvrît les propriétés du protoxyde d’azote, et Morton celles de la vapeur d’éther.

Transportons-nous donc par la pensée dans la petite ville de Hartford, de l’état de Vermont, le 10 décembre 1844. On a annoncé pour le soir de ce jour une séance de chimie à la fois instructive et amusante, ce que nous appellerions aujourd’hui une conférence. Un dentiste de la ville, M. Wells, y assiste avec sa femme, et il prend un vif intérêt aux expériences que le conférencier Colton reproduit devant le public à la fin de la leçon. Parmi ces expériences se trouvait celle de l’inhalation du protoxyde d’azote. Horace Wells, que les récits nous dépeignent d’ailleurs comme un homme vif, intelligent, enthousiaste, n’avait, à cet égard, le cerveau embarrassé d’aucun préjugé. C’était vraisemblablement la première fois qu’il entendait prononcer le nom du gaz hilarant. Mais son esprit ouvert et attentif à la nouveauté fut frappé d’un détail caractéristique. Parmi les assistans qui s’étaient soumis à l’inhalation, il y en eut un qui fut extraordinairement agité ; et qui, dans les mouvemens désordonnés auxquels il se livra, venant à heurter les bancs et les sièges, s’y meurtrit assez