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anglicans qui condamnaient l’anesthésie obstétricale au nom de la Bible, trouva piquant de les battre sur leur propre terrain, et il leur opposa le récit de la création de la femme d’après la Genèse : « Immisit ergo Dominus soporem in Adam : Le Seigneur endormit Adam, et lorsqu’il fut endormi, il lui arracha une de ses côtes. » Voltaire, qui s’étonnait qu’Adam n’eût rien senti, n’aurait pas eu à redire à l’explication du docteur Simpson.

C’est assez faire, croyons-nous, de remonter jusqu’à l’antiquité grecque. On a voulu voir une substance anesthésique dans le népenthès dont parle l’Odyssée, la liqueur préparée par la belle Hélène pour faire oublier toute douleur. Anesthésique aussi la préparation avec laquelle Machaon, au dire de Pindare, endormait les souffrances de Philoctète afin de panser sa plaie. Anesthésiques encore les philtres et les breuvages par le moyen desquels les Juifs éteignaient la sensibilité des condamnés qu’ils menaient au supplice. La médecine ancienne est restée muette à l’endroit de ces préparations merveilleuses et ne nous en a pas même transmis la simple mention. On voit assez par ce silence qu’il s’agissait là de procédés occultes et d’arcanes auxquels les hommes de l’art accordaient peu de foi. A la vérité, Hippocrate, le père de la médecine, indiquait à ses disciples la sédation de la douleur comme l’un des plus nobles objets de leurs préoccupations ; mais en même temps il l’avait en quelque sorte soustrait à leurs efforts en en réservant le privilège aux dieux : Divinum opus est scdare dolorem.

Il faut faire une distinction essentielle. Ce que les anciens et les hommes du moyen âge ont peut-être connu, tout au moins cherché, ce sont des drogues narcotiques ou stupéfiantes. De là aux anesthésiques véritables, il y a loin. Les substances narcotiques ou stupéfiantes plongent ceux qui en font usage dans un engourdissement léthargique plus profond que le sommeil ordinaire. Mais bien que cette obtusion des sens puisse faciliter la besogne du chirurgien, elle n’est jamais assez complète pour permettre les opérations graves. Sous le tranchant du couteau, le sentiment de la douleur se réveille, des mouvemens éclatent avec un caractère convulsif et désordonné. Les effets de cette ivresse narcotique se dissipent lentement après avoir imprimé à l’organisme une modification d’autant plus fâcheuse qu’elle est plus durable. Tout autre est l’action de l’éther, du chloroforme et des véritables anesthésiques. C’est un sommeil profond, absolu, où aucune excitation douloureuse ne peut faire brèche ; les membres, parfaitement dociles, ne se révoltent sous aucune violence ; l’inertie, la résolution musculaire sont poussées au plus haut point. Et pourtant le retour à l’état de veille se fait rapidement et, pour ainsi dire, d’un seul coup, à la volonté de l’opérateur ; la sensibilité reparait avec