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attaque subite de bien faibles chances. Comme nous le disions, le but est petit ; quand on croit l’atteindre et qu’on l’a visé, il a déjà disparu. L’adversaire le plus dangereux du canot-torpille sera le canot-torpille. Chaque marine est aujourd’hui pourvue de cette espèce de navire, et il faut s’attendre, dans les reconnaissances nocturnes, à des combats entre bâtimens du même genre. Tels on voit les mineurs devant une place assiégée se rencontrer sous terre dans les galeries qu’ils creusent en sens contraire et se livrer hors de la vue des humains des combats acharnés où ceux qui tombent trouvent une sépulture toute préparée de leurs propres mains ; tels les navires torpilleurs se heurteront et se serviront les uns contre les autres de leur arme meurtrière destinée à un ennemi différent. C’est la fortune de la guerre. Les équipages ne la redouteront pas.

Quant aux bâtimens qui se tiendront devant les ports, ils devront exercer une grande surveillance et faire un service très fatigant. Le mieux, disent les gens de l’art, sera de rester la nuit en mouvement sous vapeur. Parmi les commandans, les uns se borneront à s’entourer de filets simples ou métalliques pour tenir les canots torpilleurs à distance. Quelques précautions qu’on prenne, il y aura toujours des surprises à craindre, de gros risques à courir. Les blocus ne seront plus comparables à ces opérations d’autrefois où l’on pouvait « dormir sur ses deux oreilles, » sans autre inconvénient que de laisser passer quelque hardi clipper de ceux qu’on appelait dans la guerre d’Amérique « forceurs de blocus » et qui ont gagné de grosses fortunes à cette contrebande de guerre. Maintenant il s’agira du salut des bâtimens et de la vie des équipages. La guerre, dure épreuve, sera désormais plus pénible encore. La vigilance continuelle donnera plus de peine que le combat. Et les combats seront féconds en surprises nouvelles et en périls inconnus. Ces surprises et ces dangers ont pu être bravés heureusement en Amérique. Mais ils ont laissé encore des secrets mal révélés, des mystères dont le voile est à peine soulevé. En attendant, les flottes nouvelles sont préparées en vue de ces obscurités qu’il faut percer à jour. Quant à l’Italie, elle est entrée l’une des dernières dans la voie de construction des grandes flottes. Les vaisseaux qu’elle a récemment mis à la mer sont des modèles après lesquels il semble qu’il n’y ait plus de perfectionnemens à étudier. L’avenir nous dira si, en effet, les bâtimens tels que le Duilio donnent le dernier mot de l’art des constructions navales et terminent enfin la lutte entre la cuirasse et le canon.


PAUL MERRUAU.