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sont d’accord pour dire qu’aucune résistance à des attaques par mer, qu’aucune défense des passages dans les baies et les rivières ne peut avoir de chance de succès que si l’on y réunit, aux fortifications à terre, des barrages complétés par des rangées de torpilles. Ils sont aussi d’avis qu’il est impossible d’attaquer ces barricades et ces mines souvent dissimulées sous la surface de l’eau sans avoir pris d’avance des renseignemens sur leur gisement et leur nature.

Les marines européennes ont maintenant, parmi les bâtimens de flottille, des navires qui portent des torpilles, vont à la vapeur avec une rapidité très grande et ne font aucun bruit dans leur marche. Leurs machines sont silencieuses. Rien ne révèle leur approche. Leur célérité va jusqu’à 18 et même 20 nœuds, alors que les vaisseaux ne dépassent guère 15. Partout, pendant les nuits obscures, ils peuvent se glisser sans éveiller l’attention. Ils peuvent se défiler sous l’ombre des côtes élevées. On peut les conduire dans un port de guerre, une fois le jour tombé, pour y faire la recherche des torpilles placées soit au fond, soit entre deux eaux. Ils peuvent s’y livrer, à la faveur de l’obscurité, au dragage de ces redoutables engins, en briser les amarres, couper ou écorcher les fils conducteurs de l’électricité. On suppose l’entrée de nuit dans un port ennemi de deux de ces navires associés ensemble pour draguer les torpilles ; ils traîneraient à leur suite un filet ou des grappins, armés d’arêtes tranchantes. Après avoir détruit ainsi ou relevé tout un barrage de torpilles, ils pourraient, avec un peu de cette fortune qui favorise l’audace, se retirer sans avoir été découverts, ou échapper par leur petitesse même aux projectiles qui, dans la nuit, sont dirigés un peu au hasard.

Un succès si complet sera-t-il fréquemment obtenu ? Il sera certainement rare. Mais c’est déjà beaucoup qu’il soit possible, et l’entreprise vaudrait sans doute, en temps de guerre, la peine d’être tentée. Dans la marine, la considération du danger, comme l’histoire nous l’apprend, n’a jamais arrêté les équipages bien conduits, et les volontaires n’ont jamais fait défaut pour les expéditions hasardeuses. Les navires à torpilles ne manqueront pas de gens dévoués pour les diriger et les manœuvrer dans leur périlleuse aventure, et d’ailleurs ce service que M. de Bismarck, en parlant de la marine prussienne, proclamait devoir être aussi dangereux pour les défenseurs que contre l’ennemi, n’est pas sans réserver de grandes chances de salut aux marins qui s’y dévouent. Les canots torpilleurs sont exposés aux effets de la lumière électrique, qui permet de diriger contre eux des coups plus sûrs. Mais la rapidité de leurs évolutions laisse au tir de l’artillerie pendant la nuit et dans le trouble d’une