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l’on s’est engagé, mais sans succès, contre les forteresses qui défendaient l’entrée de Sébastopol. Enfin les cuirassés sont entrés en scène. C’était devant Kinburn, à l’embouchure du Bug et du Dnieper. Les premières batteries flottantes : la Dévastation, la Lave et la Tonnante, sous les ordres supérieurs de l’amiral Bruat, se sont placées résolument devant Kinburn, très bien servi par l’artillerie russe. Kinburn a répondu à leurs feux, mais la forteresse a été réduite en quelques heures. Même résultat plus tard en Amérique. L’amiral Dahlgreen, avec des navires du gouvernement fédéral, attaque et bombarde le fort Sumter. Il le ruine en très peu de temps. On n’en voit plus que des débris amoncelés. Dans la même guerre, près de Mobile, le fort Morgan est incendié et réduit à capitulation. Le fort Jackson, le fort Philip, sur les bords du Mississipi, sont bombardés et démantelés par l’amiral Porter.

Quelles conséquences tirer de ces souvenirs contradictoires ! C’est que, s’il suffit d’avoir un degré raisonnable de hardiesse pour braver le feu de forteresses quand il ne s’agit que de passer devant elles, il est au contraire très difficile et très scabreux de s’embosser en face de leurs feux, d’y séjourner le temps nécessaire pour renverser leurs batteries et démolir leurs murailles. Oserait-on le tenter avec des bâtimens de 14 millions ? Des marins l’ont fait récemment. Ils ont été hardis et heureux ! D’autres les imiteront, et il ne sera pas toujours dit que de splendides armemens maritimes auront été réduits pendant des saisons entières à se promener hors de portée des fortifications d’un ennemi sans échanger avec cet ennemi une seule bombe ou un seul boulet, ne serait-ce qu’à titre de salut. On prévoit partout cela d’avance. Aussi augmente-t-on partout les précautions. Ici l’on cuirasse jusqu’aux forteresses. Les côtes de la mer sont revêtues de fer. Là on dresse l’embûche de mines sous-marines d’autant plus redoutables qu’on ne sait où les prendre et qu’il suffit souvent d’une étincelle électrique fournie au moment opportun par un homme placé à terre, pour déterminer une explosion irrésistible.

Mais, comme nous l’avons dit, on a déjà, dans plus d’un livre, tracé pour de telles situations des théories d’attaque et de défense. Et d’abord on a préparé les moyens de faire la recherche des torpilles sous l’eau et de déblayer les abords des ouvrages fortifiés qu’on se propose d’attaquer. Il existe, entre autres écrits, des études spéciales, et, chaque jour, on en voit paraître de nouvelles. Citons particulièrement a Treatise on Coast Defence par un colonel de l’armée américaine, et un travail très attachant d’un lieutenant de vaisseau, publié sous le titre de Guerre maritime des États-Unis par M. de la Chauvinière. Ces deux écrivains militaires