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connaissent l’étendue et la limite de leurs devoirs. Enfin l’Italie peut disposer d’un très grand nombre de marins. A vingt ans, ils sont déclarés propres au service et partagés en deux contingens : l’un qui sert pendant quatre ans et passe ensuite dans la réserve pendant huit années ; l’autre qui est classé pendant dix ans dans la réserve.


IV

Quelle conclusion faut-il tirer de cette étude ? C’est que l’Italie, comme la Russie, comme l’Allemagne, a voulu sortir de son infériorité maritime. C’est une ambition naturelle, mais bien coûteuse. Si c’est une affaire d’amour-propre, c’est un amour-propre qu’elle paie bien cher : si c’est une prévision politique, quelle est-elle ? Il est toujours dangereux de jouer avec des armes. On est tout de suite tenté d’en user même sans être assuré qu’on saura et qu’on pourra s’en servir. Il n’appartient pas à tout le monde de jouer le jeu des annexions et d’y gagner.

En attendant, le plus clair, c’est l’argent qu’on dépense avant de savoir si le bénéfice compensera jamais les frais. Les flottes d’aujourd’hui sont hors de prix, et le meilleur moyen de se ruiner, c’est d’en construire une. Nous avons vu qu’un vaisseau coûte 14 millions ! Heureuses les nations qui peuvent réunir seize bâtimens de ce prix sans se gêner et sans détourner au profit d’armemens stériles des sommes dont pourraient profiter le commerce et l’industrie nationales !

Ces constructions ruineuses ont souvent une influence morale très regrettable sur l’esprit des plus braves commandans et peuvent refroidir leur courage. Avoir la charge et la responsabilité d’un navire de 14 millions, c’est une pensée qui rend très circonspect. Il n’y a pas de Jean Bart dont la valeur bouillante ne reçoive comme une douche d’eau froide à l’idée de perdre, par la moindre aventure tant soit peu hasardée, un bâtiment qu’on met au moins deux ans à construire et qui entraîne une si grosse dépense ! Autrefois, quelques mois pouvaient suffire au remplacement d’un navire coulé. Il y avait pour cela dans les arsenaux des approvisionnemens de toute sorte et dans les caisses de l’état quelques centaines de mille francs qui suffisaient. Aussi que de hardis combats ! que d’actes de folie héroïque ! Aucune entreprise n’arrêtait les marins. Quelles belles imprudences et parfois quels beaux succès ! Mais aujourd’hui qu’avons-nous vu ? Ces marins d’un courage superbe dans les tranchées de Sébastopol et sur les murs de Paris pendant le siège de 1870 n’ont-ils pas promené un armement splendide le long des côtes