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destination, la seule qui convînt en temps de guerre, ne pouvait guère prolonger la résistance. Elle dura, par le fait, tant que la disette n’obligea pas la ville à capituler.

Ce fut une leçon qui profite aujourd’hui à l’Italie et à l’Autriche. Toutes deux se préparent pendant la paix à assurer, en temps de guerre, la liberté de la mer ou du moins leur liberté à la mer. Mais alors elles s’étaient uniquement préoccupées des armées de terre et elles n’avaient pas encore compris l’importance d’une marine militaire. Elles ont porté la peine de leur faiblesse maritime, Venise par sa chute, l’Autriche par la résistance prolongée de cette ville. Les occasions de se défendre et d’écarter l’ennemi par la présence d’une flotte n’ont pas manqué depuis lors en Europe et ont complété la démonstration. Les dépenses de la Prusse et de la Russie pour armer la nation de ce précieux instrument de combat en sont la preuve. Quant à l’Italie, elle donne un témoignage frappant de sa conviction par les travaux très importans qu’elle a ordonnés pour l’agrandissement de l’arsenal vénitien et par les constructions successives de bâtimens militaires.

Cette confiance est d’autant mieux placée que l’arsenal est admirablement défendu, comme la ville même, par la nature, serait-il même réduit à ses seules forces. Les lagunes où il est situé s’étalent en marais et prennent l’aspect d’un lac quand la mer y monte. Il est parsemé d’îles entre lesquelles circulent des canaux enfilés par le canon. Les trois passes principales, — Malamocco, Lido et Chioggia, — communiquent avec la mer, mais ont à peine assez de largeur et de profondeur pour admettre des bâtimens de tonnage médiocre, il faut les creuser pour donner accès dans l’arsenal aux grands bâtimens. Malamocco doit donc être approfondi à 9 mètres. Le génie militaire a très bien utilisé les dispositions naturelles du sol pour la fortification de Venise. De nombreuses batteries et des ouvrages distribués sur les îlots commandent les canaux, battent leurs jonctions et créent de redoutables embarras à l’envahisseur. La navigation des lagunes est encore entravée par la difficulté de se diriger dans les défilés indiqués par des balises qu’on peut enlever au besoin. Enfin, du côté de la terre, la grande digue qui continue le chemin de fer est dominée par des ouvrages fortifiés que les Autrichiens, en 1849, n’ont pas occupés sans peine après un siège prolongé. Dans un système général de défense, Venise occupe un point stratégique de la plus haute importance. Fortifiée, elle enfermera le pays tout entier dans un triangle d’arsenaux ; la Spezzia au nord-ouest, Tarente au midi, Venise au nord-est. L’Italie n’épargne donc rien pour en rendre la position formidable et le parlement a voté dans cette intention des sommes considérables.