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Les batteries flottantes proposées ne pouvaient se porter au-devant de l’ennemi qu’en cessant d’être abritées par la côte où elles eussent été tenues en temps ordinaire. Une fois en pleine mer, pourraient-elles résister à la violence du vent ? ne seraient-elles pas exposées à sombrer sous le poids énorme des pièces d’artillerie dont la marine fait usage aujourd’hui ? Admettons l’hypothèse d’un temps calme et d’une mer plate, la situation de ces machines flottantes n’aurait pas été moins compromise par une raison concluante. Pour agir utilement contre des bâtimens cuirassés, embossés à distance de bombardement, on aurait dû les porter en avant et les approcher à 2,000 mètres environ. Sitôt en vue, elles eussent été poursuivies par les adversaires et bientôt atteintes avant de parvenir à trouver un refuge sous les canons de la côte. On leur supposait une marche de 10 nœuds. Les cuirassés ont souvent une rapidité de plus de 15 nœuds. Devancer les batteries dans leur retraite, les couler avant leur retour au port eût été, disait-on, l’affaire de quelques minutes.

Quant aux torpilles et aux barrages dont on prévoyait l’emploi pour fortifier l’entrée des ports et des fleuves, inutile d’en faire ressortir l’insuffisance. L’explosion des torpilles peut causer des avaries, même des catastrophes particulières, mais non détruire une escadre. On peut, sinon s’en garantir, du moins en éviter souvent le danger par des informations préalables, par des dragages de nuit. La science qui crée ces armes redoutables indique en même temps les précautions à prendre contre leur atteinte. C’est le but de recherches et d’études constantes dans les rangs de la marine. Si la solution du problème n’est pas encore trouvée, on en approche du moins, et l’expérience, au besoin, suppléerait aux formules scientifiques. On a l’exemple des torpilleurs russes et de l’escadre ottomane dans la Mer-Noire ; l’exemple des flottilles fédérales et de leurs commandans Ferragut et Porter dans le Mississipi ; celui des Brésiliens au Paraguay. On a les essais et les découvertes de chaque jour en Angleterre, en Allemagne, en Russie, aux États-Unis. Le moment viendra où la guerre des torpilleurs n’aura plus de mystères et sera soumise, comme la guerre ordinaire, à des règles précises d’attaque et de défense que le hasard, le bonheur et l’habileté perfectionneront, au moment du combat, mais dont tous les officiers auront la clé. Les périls seront alors diminués, et cette invention, d’abord réputée irrésistible, aura le sort des choses dont l’imagination grossit l’importance et dont l’engoûment, comme tout autre genre d’enthousiasme, est éphémère, Dans l’antiquité, au temps des galères carthaginoises, le Romain Duilius imagina un grappin de fer : le fameux « corbeau » qui