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elle avait hâte de jouir et n’avait pas hésité à escompter sa perspective de fortune : travaux publics et chemins de fer, instruction publique, édifices d’utilité générale, constitution d’une forte armée, construction d’une marine, elle avait tout entrepris à la fois, non par prodigalité, encore moins par dissipation de revenu, mais par empressement de prendre rang dans le concert des gouvernemens d’une richesse solide et d’une vieille importance. Le même sentiment l’avait conduite antérieurement en Crimée, où elle avait été fière de prendre place entre les armées de France et d’Angleterre.

Elle entendait affirmer du premier coup ses prétentions à une grande situation dont elle né voulait pas déchoir : ambition noble et légitime à laquelle on ne pouvait faire qu’un reproche, c’était de l’emporter au-delà des justes bornes, car, pour la maintenir, elle avait dû contracter des dettes, et, avant tout, il fallait y faire honneur. Son gouvernement devait donc reculer d’abord devant la pensée d’engager des centaines de millions dans des travaux de terrassemens et de maçonneries. Le plus pressé était d’équilibrer le budget et de mettre les dépenses au niveau des revenus.

Et pourtant, il se trouvait placé dans une alternative embarrassante : s’exposer par économie à tenter un ennemi quelconque par la facilité des débarquemens, — extrémité impossible à subir volontairement ; — ou consacrer des sommes énormes à la création de forteresses sur les côtes, la difficulté n’était pas moindre. La dépense qu’exigeait la sécurité publique, les calculs financiers la refusaient. C’était un cercle vicieux. On cherchait donc un biais pour en sortir. Écartant l’idée des fortifications à terre, toujours dispendieuses, on eut d’abord l’idée d’y substituer des fortifications flottantes d’un prix beaucoup moins élevé. Au demeurant, il ne s’agissait, disait-on, que de défendre le littoral. Dans l’intérieur, on avait des ouvrages imprenables ou à peu près, comme le fameux quadrilatère, où les Autrichiens avaient épuisé toutes les ressources de l’art militaire. On proposa donc la combinaison suivante.

On construirait des batteries flottantes, espèces d’affûts, où l’on placerait des pièces de grosse artillerie. Ces lourdes machines, remisées sur les côtes, ne sortiraient de leur mouillage qu’à la vue de l’ennemi. Elles s’ébranleraient alors pour se porter à sa rencontre et l’empêcher d’avancer. On chercherait à compléter ce genre de défense par la construction de barrages où l’on poserait des torpilles. Sur les jetées des ports, il y aurait des batteries à découvert.

Ce projet, séduisant en apparence, ne tint pas devant l’examen. Il n’eût rien empêché. Si économique qu’il se présentât, il eût encore coûté trop cher puisqu’il eût été complètement inutile. La discussion publique en fit ressortir le caractère illusoire.