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jamais ! innocente victime des passions humaines ! Quel sacrifice impie !


Si Marie-Antoinette devait, aux approches de la révolution, entrer avec violence dans les inimitiés que son entourage nourrissait contre M. Necker, du moins, à l’époque, qui nous occupe, eut-elle le bon esprit de ne point prêter la main aux intrigues dont on aurait voulu qu’elle devînt l’instrument. Vertement tancée par sa mère pour la part qu’elle avait prise à la disgrâce de Malesherbes et de Turgot, elle avait adopté la résolution, qui ne coûtait guère à son insouciance, de renoncer à toute intervention directe dans les affaires publiques. Mais elle se prêta de bonne grâce aux sacrifices qui étaient exigés d’elle, entre autres à la réforme de sa maison et de celle du roi, qui faisait partie des plans de M. Necker. Elle ne crut pas, ainsi qu’on s’efforça de le lui persuader, la dignité royale intéressée à conserver dans sa cour une foule de places superflues à la dénomination bizarre, sauf (tant était grand le désordre des sept ou huit caisses chargées de payer les gages de cette nombreuse livrée) à ce que ses laquais mendiassent, faute d’argent, dans les rues de Versailles, comme le faisaient ceux de Louis XV. Elle ne lui sut pas davantage mauvais gré de la résistance souvent maussade qu’il opposa aux demandes de la coterie avide dont elle était malheureusement environnée. C’est ainsi que, le duc de Guines ayant obtenu, par l’intervention de la reine et en dépit de M. Necker, une dot de cent mille écus pour sa fille et ayant jugé plaisant ou habile d’écrire à M. Necker pour l’en remercier, il s’attira la réponse suivante :


Monsieur le duc,

Quoique j’attachasse beaucoup de prix à votre reconnoissance, je dois à la vérité de ne point accepter ce qui ne m’appartient pas. Toutes les fois que la reine m’a fait l’honneur de me parler de votre affaire, j’ai fait en loyal administrateur des finances toutes les observations contre que j’ai cru pouvoir me permettre. Sa Majesté m’a ensuite parlé de la volonté du roi qui me seroit manifestée, et de ce moment je n’ai eu qu’à montrer mon respect et mon obéissance. Vous voyez donc, monsieur le duc, que si le roi me donne des ordres, vous ne me devrez rien. Après cet aveu, qui me fait perdre un titre à votre bienveillance, je vous prie de croire au désir sincère que j’ai d’en acquérir, et je chercherai avec empressement les occasions de vous en convaincre.


Le duc de Guines était des mieux placés auprès de Marie-Antoinette, qui s’était déjà employée en sa faveur dans un procès important, Néanmoins elle ne témoigna aucune mauvaise humeur de