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toute la France des assemblées provinciales qui seraient, entre autres fonctions, chargées de la répartition de l’impôt, il jetait les premiers fondemens de la seule de nos institutions dont nos bouleversemens politiques n’aient fait qu’accroître la solidité : celle des conseils-généraux. Détail assez curieux : c’est dans le projet d’édit soumis au roi par M. Necker que se trouve, sous la désignation de bureau ou commission intermédiaire, la première idée de ce rouage d’une commission permanente que notre législation récente a cru emprunter à la Belgique, commission qui fonctionne aujourd’hui dans tous nos départemens et dont l’administration, sans être irréprochable, vaut à tout prendre mieux pour eux que celle des préfets d’aventure auxquels nous les voyons condamnés.

Enfin, lorsque peu de mois avant de quitter le pouvoir, M. Necker jetait, par la publication du fameux Compte-rendu, une lumière inattendue sur la matière obscure des finances publiques, cette innovation hardie lui était inspirée par une prévision dont l’expérience a démontré la justesse. Son instinct financier devinait les ressources inépuisables que, dans un pays fertile et laborieux, un gouvernement sage peut obtenir en faisant appel au crédit, mais il sentait bien que par ce temps où l’opinion publique était devenue une puissance, les opérations mystérieuses n’avaient plus leur raison d’être et que la publicité était devenue la seule base du crédit. Cette vérité, qui paraît aujourd’hui si simple, était alors une découverte à peine entrevue. La proclamer était une grande hardiesse, et il n’est pas surprenant que M. Necker ait été accusé par ses adversaires d’avoir trahi le secret de l’état. Mais ce qui est plus étrange, c’est qu’il se trouve encore de nos jours des écrivains pour le lui reprocher.

Un autre caractère de l’administration de M. Necker, c’est une préoccupation constante du sort des petits, des humbles, des souffrans. On connaît sa réponse à une solliciteuse qui lui disait : « Qu’est-ce que mille écus de pension pour le roi ? — Mille écus ! mais c’est la taille d’un village ! » Le souci de la condition faite à ces classes silencieuses et souffrantes « dont la voix, disait-il dans un de ses ouvrages, ne se fait jamais entendre à l’avance, et qui ne sait longtemps que bénir ou pleurer, » lui inspire même parfois quelques théories assez malsonnantes sur l’origine et les limites du droit de propriété, théories qui lui ont valu de la part de mon éminent collaborateur, M. Janet, le reproche de socialisme[1]. Pardonnons cependant à ces théories en faveur du sentiment qui les lui dictait et qui lui faisait dire, dans son Traité sur

  1. Voyez dans la Revue du 15 juillet, l’intéressante étude de M. Janet sur les Origines du socialisme contemporain.