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de vous lire un chapitre par jour. Assurez-la bien de mon sincère attachement ; je la prie instamment de me donner de ses nouvelles et des vôtres, ce que j’attends avec bien de l’impatience. Puis, si cela ne vous importune pas, je vous écrirai plus assidûment. Adieu, ma chère et bonne amie ; que Dieu vous comble de ses grâces et de ses bontés. De la patience et du courage, ce sont les vœux bien sincères de votre toute dévouée amie


Vte ***

Ma communion d’aujourd’hui s’est faite à votre intention. Ma fille, Henriette, Ernest, qui a passé une bien meilleure nuit, se rappellent à votre souvenir, ainsi que Clara. Nous nous entretenons bien souvent de vous. De vos nouvelles, je vous en prie. Lorsque vous aurez lu l’Ame sur le Calvaire, vous me le renverrez, et je vous ferai passer l’Esprit consolateur.


La lettre et le livre ne partirent pas. Ma mère, qui était chargée de l’expédition, apprit la mort de Mlle Guyon et garda la lettre. Quelques-unes des consolations qu’elle renferme peuvent paraître faibles. Mais en avons-nous de meilleures à offrir à une personne atteinte d’un cancer ? Elles valent bien le laudanum.

En réalité, la révolution avait été non avenue pour le monde où je vivais. Les idées religieuses du peuple n’avaient pas été atteintes ; les congrégations se reformaient ; les religieuses des anciens ordres, devenues maîtresses d’école, donnaient aux femmes la même éducation qu’autrefois. Ma sœur eut ainsi pour première maîtresse une vieille ursuline, qui l’aimait beaucoup et lui faisait apprendre par cœur les psaumes qu’on chante à l’église[1]. Après un ou deux ans, la bonne vieille fut au bout de son latin et vint consciencieusement trouver ma mère : « Je ne peux plus lui rien apprendre, dit-elle ; elle sait tout ce que je sais mieux que moi. » Le catholicisme revivait dans ces cantons perdus avec toute sa respectable gravité et, pour son bonheur, débarrassé des chaînes mondaines et temporelles que l’ancien régime y avait attachées.

Cette complexité d’origine est en grande partie, je crois, la cause de mes apparentes contradictions. Je suis double ; quelquefois une partie de moi rit pendant que l’autre pleure. C’est là l’explication de ma gaîté. Comme il y a deux hommes en moi, il y en a toujours un qui a lieu d’être content. Pendant que, d’un côté, je n’aspirais

  1. Dans ces pages, destinées au public, je ne parle presque pas de ma sœur. Je l’ai fait dans un écrit tiré à un très petit nombre d’exemplaires. La modestie extrême de cette personne excellente m’a toujours empoché d’entretenir d’elle les personnes qui ne l’ont pas connue.