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On a vu en quels termes le duc de Choiseul remerciait M. Necker des services financiers rendus par lui à l’état. Ces services étaient fréquens, et la correspondance de M. Necker avec les gardes du trésor royal montre à quel désordre incroyable l’état des finances publiques était arrivé à la fin du règne de Louis XV. Ces gardes d’un trésor bien mal gardé supplient à chaque instant M. Necker de venir à leur secours. Toute leur espérance est en lui. Ils font appel à son amour pour la réputation du trésor, et c’est, à un moment donné, de cet amour que dépend le départ de la maison du roi pour Fontainebleau. Il faut penser que ces supplications s’adressent à un banquier protestant qui représentait auprès de la cour de France un gouvernement étranger, pour mesurer l’urgence d’une réforme à tout le moins dans le gouvernement des finances. Quels que fussent cependant les services rendus par M. Necker et la réputation qui commençait à s’attacher à son nom, encore fallait-il qu’une circonstance heureuse vînt le tirer de la pénombre et le mettre en pleine lumière. Comme son élévation politique est par elle-même un fait assez étrange, ses adversaires n’ont pas manqué de l’expliquer par quelque intrigue à laquelle il serait descendu. Sénac de Meilhan a mis en circulation sur ce point une anecdote à laquelle M. Droz a accordé les honneurs de la reproduction dans sa grave Histoire de Louis XVI et que MM.  de Goncourt ont recueillie dans un de ces nombreux ouvrages où la saine critique est remplacée par l’esprit, l’entrain et la recherche infatigable des documens. D’après Sénac de Meilhan, le véritable auteur de la fortune de M. Necker serait une sorte de chevalier d’aventure dont il est souvent question dans les mémoires du temps, et qui, de son véritable nom Masson de Pezai, se faisait appeler le marquis de Pezai. Ce prétendu marquis de Pezai, homme à inventions creuses et en même temps faiseur de vers assez médiocres (ce qui faisait dire de lui, dans un quatrain, qu’en dépit de la nature il s’était fait poète et marquis), avait su cependant se créer dans le monde une situation à laquelle les agrémens de sa personne n’avaient pas nui. C’était à son propos que M. de Maurepas disait plaisamment ; « M. de Pezai gouverne la France, » et comme on lui demandait pourquoi, il répondait : « M. de Pezai gouverne la princesse de Montbarrey dont il est l’amant ; Mme de Montbarrey gouverne ma femme, ma femme me gouverne, et moi, est-ce que je ne gouverne pas la France ? » Ce serait, toujours d’après Sénac de Meilhan, ce personnage assez peu recommandable qui aurait attiré sur le banquier genevois l’attention du premier ministre de Louis XVI, lui encore qui aurait été chargé par M. Necker de remettre au roi, dont il avait su capter la confiance, un mémoire sur l’état des finances, lui enfin qui aurait par ses insistances triomphé des hésitations du