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sa colère concentrée, à sa façon laconique, par ces deux brusques lignes vibrantes d’un sentiment facile à nommer : « Tu sauras sans doute que le roi de Naples nous a quittés sans crier gare ; c’est le vice-roi qui commande : les affaires de l’empereur ici ne pourront qu’y gagner. »

Tout autre est le caractère de la haine que lui inspire Bernadotte. Si invétérée, si profonde, si tenace est celle-là, qu’il en oublie sa discrétion ordinaire et qu’il s’y livre avec le plus redoutable emportement. Que depuis la journée d’Auerstaedt Davout n’eût pour Bernadotte aucun sentiment de reconnaissance ou d’estime, on pouvait aisément le soupçonner ; mais quelle était l’étendue et la force de ce ressentiment, voilà ce que les papiers qui nous sont aujourd’hui livrés nous révèlent pour la première fois. Jusqu’à l’accession de Bernadotte au trône de Suède, on ne voit pas que cette rancune, assez légitime, ait jamais cherché occasion de se faire jour. Les relations des deux maréchaux restèrent ce qu’elles devaient être entre dignitaires de cet ordre, froides et réservées du côté de Davout, polies avec une pointe aigre-douce du côté de Bernadotte, ainsi qu’en témoigne certain billet, daté de 1808, qui contraste singulièrement par le l’on piqué avec les billets antérieurs à l’affaire d’Auerstaedt, billets fort bien tournés, d’une courtoisie empressée et où se lit le désir évident de plaire. Les événemens de 1813 donnèrent enfin à cette animosité longtemps refoulée le prétexte d’éclater. L’expression en fut terrible, et, bien qu’elle soit restée enfermée dans une lettre intime destinée à rester secrète, les oreilles durent singulièrement tinter à Bernadotte un certain soir du mois de septembre 1813, s’il est vrai que toute parole prononcée avec passion va sûrement atteindre celui qu’elle concerne. Quelques troupes danoises et françaises relevant du commandement de Davout ayant incendié un petit village du nom de Schonberg, le général suédois Wegesach écrivit au général danois commandant à Lubeck pour se plaindre de cet acte, qu’il se plaisait, disait-il, à attribuer à un officier ignorant les lois de la guerre dans les états civilisés, et pour menacer, en cas de récidive, de représailles du prince héréditaire de Suède. Ce ne fut pas le général commandant à Lubeck qui répondit, ce fut Davout lui-même. et sa réponse fut rédigée de telle sorte que, passant par-dessus la tête du général suédois, elle put atteindre son ancien ennemi devenu roi, ; et lui crier que sa conduite avait tenu, tout ce que promettait son inaction à la journée d’Auerstaedt. Mais cette réponse, il ne lui suffit pas de l’avoir dictée et d’être sûr qu’elle arrivera à son adresse ; puisque cet acte de justice ne doit pas être rendu public, il veut au moins qu’il ne reste pas ignoré de la personne dont l’estime lui importe le plus, et, contrairement à ses habitudes de