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espérant toujours avoir mal lu. Je ne pourrais t’entretenir aujourd’hui d’autre chose : je te quitte pour ce motif.


Hambourg, 5 juin 1813.

J’ai reçu, mon amie, ta lettre du 30 mai. Lorsque tu écriras à la duchesse de Frioul, parle-lui des vifs regrets que je partage avec tous les fidèles serviteurs de l’empereur et les bons Français. Cette perte est irréparable pour l’empereur. J’ai lu la relation de ses derniers momens ; ce récit a renouvelé ma douleur, il m’a fait verser des larmes comme un enfant. Tu sais que ton Louis n’est pas prodigue de son estime, il en portait une bien grande au grand maréchal, qui avait un beau caractère, et c’est surtout sous ce rapport que cette perte est irréparable : l’empereur pourra trouver quelqu’un d’aussi attentif, ce qui lui sera encore difficile, mais il n’en trouvera pas d’aussi exempt que lui des petites passions.


Hambourg, 6 juin 1813.

J’ai encore lu ce matin le Moniteur qui rend compte des derniers momens du duc de Frioul. Quelle perte, mon amie, pour l’empereur, dont il avait toute la confiance ! Il avait justifié cette confiance par sa conduite, depuis qu’il était près de la personne de l’empereur. Il avait un tact, un aplomb, un sang froid extrêmes. Je le regrette vivement et ne puis me faire à sa perte ; c’est surtout mon dévouement pour l’empereur qui m’occasionne ces regrets ; cependant je dois avouer qu’il y entre aussi quelque chose qui m’est personnel, car j’ai eu occasion d’être convaincu que jamais le duc de Frioul n’a partagé, pour ce qui me concerne, les petites passions de bien des gens ; il a toujours apprécié mon dévouement, et, sous ce rapport, il m’a conservé dans toutes les circonstances estime et amitié. Excuse-moi, mon amie, de ne t’entretenir que de ce triste sujet, mais j’en suis rempli, et avec qui pourrais-je mieux m’épancher qu’avec mon excellente Aimée ?


L’oraison funèbre du colonel Grosse est singulièrement originale dans sa brièveté. C’est tout à fait une oraison funèbre à la Davout, mâle, laconique, militaire, où éclate brusquement son mépris de la gloire jactancieuse et intrigante.


Massow, 22 août 1813.

Nous avons eu hier une rencontre avec l’ennemi qui, pour le bruit, a été assez vive. Heureusement que notre perte est insignifiante pour le nombre. J’en ai fait une qui m’est bien sensible, celle de Grosse. Il a été tué d’une balle ; j’ai peu connu d’hommes aussi intrépides, aussi actifs : il avait une grande quantité d’actions éclatantes qu’il ne s’occupait pas de faire valoir.