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qu’Amilcar devait faire passer ses colères dans l’âme du jeune Annibal. Une opinion fort particulière, et tellement caractéristique qu’elle suffirait seule à donner la clé de la nature de Davout, augmentait encore cette inquiétude. Le maréchal redoutait pour son fils l’influence de l’éducation maternelle, et cela par la raison que, selon lui, la préoccupation innée, instinctive des femmes est de dresser les enfans à la prévenance envers leur sexe, en sorte qu’elles font tout tourner en recherches de formes aimables, et qu’en polissant ainsi le caractère elles courent risque de l’émasculer. Elles façonnent l’enfant à la croyance qu’il n’y a pas de devoirs supérieurs aux égards qu’elles ont droit d’exiger, tandis que la véritable éducation consisterait à lui apprendre qu’il y a beaucoup de choses qu’un vaillant homme doit mettre au-dessus de la crainte de leur déplaire ou seulement de ne pas leur plaire. Cette Aimée, dont il estime si fort le jugement, — certaines lettres nous diront bientôt combien cette estime était fondée, — eh bien ! il se défie d’elle sur ce chapitre de l’éducation, et toutes les fois qu’il en est question entre eux, il la semonce amicalement, mais avec une fermeté qui se refuse à toute transaction. Alors il s’élève sans y songer et en laissant courir sa plume aux considérations les plus élevées et à la plus réelle éloquence. Si les présentes pages trouvent des lectrices, c’est à elles qu’il appartient de se prononcer sur cette opinion de Davout ; aussi, pour les mettre à même de juger avec impartialité des raisons du procès qu’il fait à leur sexe, nous placerons sous leurs yeux trois admirables lettres qui résument avec une netteté sans égale ses pensées sur ce sujet et montrent à découvert le stoïcisme qui faisait le fond de son être.


Hambourg, 21 janvier 1812.

A Dieu ne plaise que j’interprète comme tu le fais les sentimens de mon excellente amie ! je sais que ses observations lui sont dictées par son attachement et par notre intérêt commun. Cela me suffit pour interpréter tout en bonne part… je désire que tu ne prennes pas en mauvaise part mes réflexions sur les sentimens que tu veux donner à Louis sur ton sexe. Jamais, mon Aimée, nous ne serons du même avis à ce sujet. Si j’avais à juger ton sexe d’après toi, je serais en accord d’opinion ; mais je le juge tel qu’il est ; et l’homme qui se laisse dominer par lui, qui s’en occupe beaucoup, ou je me trompe, ou il sera toujours de l’espèce des médiocres. A qui les femmes donnent-elles leurs suffrages, leurs préférences ? C’est à celui qui s’occupe beaucoup d’elles, parce qu’elles rapportent tout à elles, à leur vanité. Ainsi, par exemple, le général Friant, qui n’a pas le verbiage du général X.., ni du général V.., ne sera pas apprécié ; et ces individus, qui ne sont peut-être propres