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En 1810, la maréchale ayant trouvé à Savigny une délicieuse branche de rosier portant une rose épanouie, deux boutons à demi ouverts et un troisième encore fermé, l’avait donnée à son mari en lui disant : « Voilà ta femme, tes deux filles et notre Napoléon. » Le maréchal la met à sa boutonnière et continue seul sa promenade. La cloche du dîner ne le ramenant pas en dépit de son exactitude ordinaire, la maréchale étonnée sort pour le chercher et le trouve sombre, agité, repassant partout où il avait passé pour retrouver le malheureux troisième bouton. Tous se prirent à chercher avec zèle, car le prince d’Eckmühl était adoré de ses serviteurs, mais le charmant symbole du petit Napoléon demeura introuvable. Six semaines plus tard mourait d’une congestion cérébrale ce splendide enfant, orgueil et joie de ses païens.


De tels détails sont d’infaillibles révélateurs de la nature secrète, et après les avoir lus on n’est pas tenté de trouver exagérée l’application que l’auteur des présens Mémoires fait à son père de cette parole de Michelet : « Les plus forts sont les plus tendres. »

Si les deux premiers volumes de ces Mémoires, nous ont montré en Davout le fils, le frère et l’époux, les deux derniers nous révèlent le père et c’est peut-être dans ce rôle qu’apparaît le mieux toute la mâle originalité de sa nature. Ses rôles précédens il a pu les remplir en entier, mais ce dernier il ne peut le remplir qu’incomplètement, fragmentairement, par les conseils, par les vœux, condamné qu’il est par sa situation à n’être pour ainsi dire père qu’un partibus hostium. Des préoccupations de la nature la plus élevée se mêlaient à ces tristesses de l’absence. Il se demandait ce que serait l’éducation de ses enfans, surtout celle dm seuil fils qu’il eût alors, et du seul que la mort dût épargner. Il voudrait transmettre à ce fils comme le legs le plus précieux de son héritage, les sentimens qui remplissent son âme, pour qu’il soit à son exemple un dévoué serviteur de la France et de l’empereur que, dans ces années de 1811 et de 1812, il identifie encore complètement à la nation. Il veut qu’il soit élevé sans mollesse, qu’il ait les mêmes passions que lui, les mêmes haines vigoureuses de tout ce qui est ennemi du nom français. Plus tard, lorsque la paix désirée le ramènera auprès de cet enfant et qu’il ne trouve pas sa jeune âme montée au ton de patriotisme militant où il la désire, ne sera-t-il pas trop tard pour faire passer en lui ces souffles d’ardeur guerrière ? A maintes pages de cette correspondance, ces inquiétudes paternelles s’expriment avec un tel accent de sombre colère contre nos ennemis d’alors et très particulièrement contre l’Angleterre, qu’involontairement, par une association d’idées qui n’a rien de forcé, le souvenir se reporte à ce grand homme de guerre de l’antiquité qui fut un si bon haïsseur de Rome, et qu’on se dit que c’est à peu près ainsi