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le payer à prix réduit, comme c’était le but de cette prière, la transaction sera de celles dont il y aura lieu de se féliciter. Enfin cette prière révélait que son auteur s’était élevé à la connaissance de cette loi invariable qui veut que les chances heureuses et les chances malheureuses se partagent à peu près également l’existence humaine. Notre ancien redoutait pour cette raison d’épuiser les chances heureuses et essayait de se préserver des malheureuses en leur faisant leur part, ce qui n’était pas si mal raisonner. Si l’alternance des deux séries est inévitable et s’il est vain de vouloir s’y soustraire, il reste à savoir cependant si les effets de la mauvaise ne peuvent pas être combattus ou amoindris. Notre ancien le croyait, tous les grands hommes d’action l’ont cru, et c’est cette conviction qu’exprimait Cromwell, lorsqu’il parlait de ne laisser à la fortune que ce qu’on ne peut lui ôter par prudence, constance et labeur.

Nous n’avons jamais mieux compris peut-être combien cette loi est invariable et combien la lutte contre ses effets, tout inégale qu’elle est, est toujours possible qu’en lisant les deux derniers volumes de la publication que Mme la marquise de Blocqueville a consacrée à la mémoire de son illustre père. Pour qui lit attentivement le contracte est grand en effet entre ces volumes et les précédens. Dans les premiers, nous assistions au déroulement des chances heureuses ; alors tout était lumière, victoire, triomphe ; mais voilà que l’année 1809 est venue et qu’elle a marqué le point culminant de cette fortune. Désormais il n’y a plus de place dans la destinée de Davout que pour la série des chances contraires. Ce sont pour lui de tristes années que celles qui sont comprises entre les dates de 1811 et de 1816. Tout est sombre en lui et autour de lui. Sa foi en Napoléon n’est plus entière comme autrefois, sa confiance en sa propre étoile s’est obscurcie. Le sort s’acharne à ne l’entourer que de circonstances défavorables ou à ne lui présenter que de décevantes occasions de gloire. Ces champs de Russie, où il combattra si bravement, il les traversera sans y trouver une bataille qui soit l’égale d’Auerstaedt et d’Eckmühl ; cette défense de Hambourg, où il montrera des qualités de premier ordre, s’effacera au milieu des péripéties de l’effondrement de l’empire ; les tâches que lui imposera la volonté d’un maître impérieux seront ingrates pour sa renommée autant que périlleuses pour son honneur. Et cependant, en dépit de la malignité du sort, il n’y aura dans la seconde partie de cette carrière, non plus que dans la première, un seul revers, une seule défaite, une seule flétrissure à l’honneur ; bien mieux, de tous ces élémens ingrats il réussira à tirer une gloire nouvelle, stérile en comparaison de celle qu’il avait acquise déjà, mais, une gloire véritable. Et à quoi ce résultat a-t-il tenu, sinon à l’opiniâtreté sagace avec laquelle il a su