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pédagogie, ils pratiquaient la première règle de l’éducation, qui est de ne pas trop faciliter des exercices dont le but est la difficulté vaincue. Ils cherchaient par-dessus tout à former d’honnêtes gens. Leurs leçons de bonté et de moralité, qui me semblaient la dictée même du cœur et de la vertu, étaient pour moi inséparables du dogme qu’ils enseignaient. Jusqu’à mon départ de ma ville natale, je n’eus jamais un doute sur tout ce qu’ils me dirent. L’éducation historique qu’ils me donnèrent consista uniquement à me faire lire Rollin. De critique, de sciences naturelles, de philosophie, il ne pouvait naturellement être question encore. Quant au XIXe siècle, aux idées déjà professées par tant de bouches éloquentes, c’était ce que mes excellens maîtres ignoraient le plus. On ne vit jamais un isolement plus complet de l’air ambiant. Un légitimisme implacable écartait jusqu’à la possibilité de nommer sans horreur la révolution et Napoléon. Je ne connus guère l’empire que par le concierge du collège. Il avait dans sa loge beaucoup d’images populaires : « Regarde Bonaparte, me dit-il un jour, en me montrant une de ces images ; ah ! c’était un patriote, celui-là ! » De la littérature contemporaine, jamais un mot. La littérature française finissait à l’abbé Delille. On connaissait Chateaubriand ; mais avec un instinct plus juste que celui des prétendus néo-catholiques, pleins de naïves illusions, ces bons vieux prêtres se défiaient de lui. Un Tertullien égayant son Apologétique par Atala et René leur inspirait peu de confiance. Lamartine les troublait encore plus ; ils devinaient chez lui une foi peu solide ; ils voyaient ses fugues ultérieures. Toutes ces observations faisaient honneur à leur sagacité orthodoxe ; mais il en résultait pour leurs élèves un horizon singulièrement fermé. Le Traité des études de Rollin est un livre plein de vues larges auprès du cercle de pieuse médiocrité où s’enfermaient par devoir ces maîtres exquis.

Ainsi, au. lendemain de la révolution de 1830, l’éducation que je reçus fut celle qui se donnait, il y a deux cents ans, dans les sociétés religieuses les plus austères. Elle n’en était pas plus mauvaise pour cela ; c’était la forte et sobre éducation, très pieuse, mais très peu jésuitique, qui forma les générations de l’ancienne France, et d’où l’on sortait à la fois si sérieux et si chrétien. Élevé par des maîtres qui renouvelaient ceux de Port-Royal, moins l’hérésie, mais aussi moins le talent d’écrire, je fus donc excusable, à l’âge de douze ou quinze ans, d’avoir, comme un élève de Nicole ou de M. Hermant, admis la vérité du christianisme. Mon état ne différait pas de celui de tant de bons esprits du XVIIe siècle, mettant la religion hors de doute, ce qui n’empêchait pas qu’ils n’eussent sur tout le reste des idées fort claires. J’appris plus tard des choses qui