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des circonstances particulières, c’est possible. Les israélites expient un peu l’éclat d’une fortune qui a considérablement grandi, qui est surtout devenue plus frappante depuis dix ans, depuis la guerre de 1870. Ils ont excité les jalousies, les ressentimens par leurs succès, par l’habileté avec laquelle ils ont su profiter des événemens, de cette profusion de milliards qui a produit pour le pays une crise économique désastreuse, et ces jalousies, ces ressentimens, échauffés, conduits par l’esprit de secte, se tournent aujourd’hui contre eux. Ils expient peut-être aussi jusqu’à un certain point les inconséquences des chefs, des orateurs qu’ils ont eus dans le parlement. Ceux-ci ont compté parmi les plus ardens auxiliaires de la campagne du Culturkampf contre les catholiques, et aujourd’hui, à leur tour, ils voient recommencer contre eux une guerre qu’ils ont trouvée bonne contre d’autres : preuve évidente que désormais, pour toutes les religions comme pour tous les partis, le libéralisme est de la prévoyance ! Au fond, les animosités d’un autre temps n’iront pas bien loin sans doute, elles ne remporteront pas sur la raison allemande, et le vice-président du conseil, le comte de Stolberg, a déclaré qu’on n’avait pas l’intention de diminuer les droits des juifs ; mais ici précisément il y a un autre point assez curieux. Le gouvernement a bien déclaré effectivement qu’il ne voulait porter aucune atteinte aux droits constitutionnels des israélites ; il n’a pas dit un mot pour décourager ou pour blâmer l’agitation « antisémitique. » Qu’est-ce à dire ? M. de Bismarck se serait-il proposé de faire sentir aux israélites, comme il l’avait fait déjà avec les libéraux-nationaux, que ni les uns ni les autres ne pouvaient rien sans lui, que seul il pouvait les protéger ? Aurait-il cédé, une fois de plus, à cette tentation méphistophélique de laisser les partis se diviser, se dévorer pour intervenir en souverain pacificateur ? N’importe, il y a désormais, en plein siècle de la libre pensée, une question sémite à Berlin ! L’agitation contre les juifs n’est probablement pas près de finir, et l’esprit de tolérance se manifeste sous des formes étranges dans cette victorieuse et puissante Allemagne !


CH. DE MAZADE.



ESSAIS ET NOTICES.

Monumens de l’art antique, publiés sous la direction de M. Olivier Rayet. Paris, 1880 ; Quantin.


M. Rayet publie une nouvelle collection des Monumens de l’art antique ; nous en avons sous les yeux la première livraison, qui