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aurait dû soutenir. Un autre orateur d’une nuance d’opinion plus avancée, M. René Goblet, a su allier à l’esprit réformateur le respect des Conditions essentielles de toute justice. Un député de la droite, M. Fauré, a parlé simplement et habilement, en homme instruit. Pour les uns et les autres, la question garde son caractère sérieux et son ampleur. Il y aurait à examiner ce qu’on pourrait faire pour relever l’institution des juges de paix en l’affranchissant des influences de parti, pour adapter la répartition des tribunaux à la situation créée par les transformations économiques, pour rendre la justice moins coûteuse en simplifiant les procédures, pour régulariser l’accessibilité et l’avancement dans la magistrature. C’est une œuvre considérable, utile, qui ne peut être conduite qu’avec une impartialité supérieure, avec le sentiment le plus équitable des intérêts multiples qui sont en cause ; mais ce n’est vraiment pas de cela qu’il s’agit. M. Bardoux, qui, lui aussi, est intervenu avec talent sur le point décisif, qui a tenté un effort malheureusement inutile pour sauver le principe de l’institution judiciaire, M. Bardoux l’a dit avec raison, avec une franchise qui aurait dû réveiller quelques scrupules : « Toute la loi, c’est l’article 8 ! L’article 8, c’est la suspension de l’inamovibilité pendant une année, et la suspension de l’inamovibilité, c’est l’épuration discrétionnaire légalisée, érigée en système, suspendue sur la magistrature tout entière. Voilà la question qui pour le moment éclipse et domine toutes les autres ! »

Vainement on fait observer à ces réformateurs, en vérité assez vulgaires, que la république existe depuis dix ans, que la constitution date déjà de cinq années, qu’un régime ne procède pas après un si long espace de temps comme au lendemain d’une révolution, que d’ailleurs, dans cet intervalle, un renouvellement incessant s’est accompli dans la magistrature ; vainement on fait observer tout cela, les réformateurs de la chambre ont décidé l’épuration ! Est-ce à dire que la magistrature française puisse être soupçonnée, dans son intégrité, dans la manière dont elle rend la justice ordinaire ? Nullement ; un des plus vifs défenseurs de la réforme, M. Allain-Targé, dont l’esprit semble osciller entre la passion de parti et un respect de souvenir pour l’ordre judiciaire, M. Allain-Targé lui-même déclarait, l’autre jour, que la magistrature était honorée, qu’aucun soupçon ne pouvait atteindre son intégrité, qu’elle n’était pas riche, mais qu’elle méprisait l’argent, — que de plus elle était généralement indépendante. Pourquoi donc tant d’hostilités violentes et de déclamations furieuses auxquelles le gouvernement a même cessé d’opposer la plus légère protestation, comme s’il était le premier à livrer ce grand corps de la justice française ? C’est tout simple, le crime est évident ! La magistrature est suspecte de tiédeur pour la république ; elle est accusée de sédition, de rébellion ou de complicité dans la rébellion. On hésitait jusqu’ici à la frapper, on n’hésite plus depuis qu’elle a manqué de zèle dans la campagne des décrets. Une