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cela a-t-il été emporté dans une bourrasque soudaine ? Comment se fait-il que, dans une question de politique générale, la défaite ait été pour celui qui avait, comme président du conseil, la responsabilité légale de cette politique, et la victoire soit restée à ceux qui, au dernier instant, ont cru devoir se séparer de leur chef ? On ne prétendra pas sérieusement sans doute qu’une déclaration jugée incomplète ou vague des ordres religieux aurait suffi pour ruiner d’un seul coup un système de conduite qui avait été adopté dans l’intérêt de la république, du gouvernement, non dans l’intérêt des communautés !

Le malheur ou la faiblesse de M. de Freycinet est d’avoir mis peu de précision dans ses idées et de s’être fait quelques illusions, d’avoir montré plus de bonnes intentions que de résolution. Son devoir le plus simple, le plus rigoureusement parlementaire, au moment de la crise, eût été de ne pas passer si vite condamnation, de représenter à M. le président de la république, à ses collègues, que ce qu’il proposait avait été accepté dans le conseil, que son discours de Montauban avait été affiché dans toutes les communes de France somme l’expression de la pensée du gouvernement, que c’était pour tous une obligation d’aller devant les chambres, à qui appartiendrait le dernier mot. Et qu’on ne dise pas qu’il aurait échoué, qu’il aurait été mal compris, peu soutenu, parce qu’on ne prévoyait pas alors les difficultés de toute sorte que l’exécution des décrets allait rencontrer : c’est là l’éternelle raison de ceux qui ne veulent rien tenter ! En cédant avant le combat, presque à la première sommation, M. de Freycinet, sans le vouloir, a paru livrer une politique à laquelle il est réduit aujourd’hui à rendre le témoignage de regrets tardifs et d’une sagesse inutile. En résistant, en demeurant à son poste autant que possible, il aurait rendu un singulier service au gouvernement, il l’aurait empêché de s’engager, comme il l’a dit lui-même, « sur une pente funeste, où peut-être on aura de la peine à se retenir ! » que s’est-il passé en effet ? La retraite même de l’ancien président du conseil a imprimé son caractère et créé une sorte de fatalité au cabinet recomposé. Il est bien clair que le nouveau ministère restant au pouvoir dans ces conditions était obligé d’aller jusqu’au bout, et il est bien certain sous ce rapport, on a été fondé à le dire, que ce qui est arrivé devait arriver. On ne pouvait faire autrement sous peine de n’avoir plus de raison d’être. On s’est étourdiment jeté dans cette aventure sans s’apercevoir que, pour des questions de légalité douteuse, on allait commencer par se heurter contre tous les droits, par recourir à toutes les formes de l’arbitraire administratif, au risque d’offrir ce spectacle étrange de républicains désavouant toutes les traditions libérales, absolvant ou imitant ce qu’ils ont mille fois réprouvé. On s’est exposé à s’entendre dire, l’autre jour, par M. Laboulaye : « Que nous demandez-vous ? Vous nous demandez d’abandonner toutes les convictions de notre vie… Votre programme, je le connais, ce n’est pas une