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quelque deux ou trois mille ans, sous les traits que nous offrent en l’an 1880 telles populations océaniennes ou telles tribus de l’Inde que nous venons de citer. Les Khassias élèvent de nos jours des dolmens et des menhirs : pour savoir à quelles intentions répondit jadis sur notre propre sol l’érection de ces monumens, il suffira de savoir à quelle intention les Khassias d’aujourd’hui les élèvent. Ce sont des monumens funéraires ou des monumens votifs. Tenons donc pour autant de monumens votifs ou funéraires les dolmens ou menhirs que nous rencontrons sur notre propre sol. Bien plus : et de l’identité de ces architectures primitives on croit pouvoir induire par analogie légitime l’identité des mœurs, de l’état social et du degré de civilisation matérielle. Ajoutez enfin que quelques ethnographes pencheraient volontiers à croire que, sur le sol de notre Europe, comme dans la péninsule de l’Hindoustan, les Aryens jadis auraient refoulé devant eux des populations inférieures formant, pour ainsi dire, à la surface de la planète, une couche première de civilisation.

Toutes ces hypothèses peuvent se soutenir, et bien d’autres encore ; il ne s’agit que de savoir s’y prendre : tant est grand le nombre des faits qui se contrarient en pareil sujet jusqu’à se contredire. Que si l’on descend au détail précis et rigoureusement scientifique de chacun de ces faits, M. de Nadaillac nous montre clairement, en ce qui regarde les monumens mégalithiques, l’éternelle difficulté de concilier les généralisations prématurées avec les faits certains. « Nous sommes forcés, dit-il précisément à la fin de ce chapitre, de reconnaître combien les voiles qui couvrent le passé de notre race sont épais et combien la science humaine est encore impuissante à résoudre les questions si multiples qui la concernent. » La conclusion paraîtra sans doute un peu sceptique. C’est la meilleure cependant, ou plutôt, dans l’état actuel des choses, c’est la seule que l’on puisse donner.

On ne lira pas avec moins d’intérêt les chapitres que M. de Nadaillac a consacrés à la discussion du peuplement de l’Amérique. C’est encore un de ces problèmes si curieux, mais si difficiles à résoudre. Entre autres opinions qu’il paraît impossible d’admettre, mais dont la singularité prouve au moins combien est grande, ici comme ailleurs, la disette de ces faits authentiques qui brident, dans les sciences plus sûres d’elles-mêmes et de leur méthode, la liberté des hypothèses, citons celle qui veut attribuer aux Romains la primitive colonisation du Mexique et du Pérou. C’est assez de la citer : il n’est guère besoin de la discuter. Parce que l’on aura trouvé des espèces de collèges de vestales au Pérou, ce n’est vraiment pas une raison pour conclure que le culte de la déesse ait été jadis importé de Rome au Pérou.

L’opinion vers laquelle penche M. de Nadaillac est celle qui voit dans le peuplement de l’Amérique l’œuvre des immigrations asiatiques. Et,