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l’esprit de système ou plutôt de parti. Car, chose curieuse et même extraordinaire ! on.se compte sur le crâne de Néanderthal, et c’est une façon de se classer que d’avoir une opinion ou l’autre sur l’antiquité de la fameuse mâchoire de Moulin-Quignon. Il n’est pas aussi que vous ne connaissiez de fort honnêtes gens, qui d’ailleurs pleins d’un superbe mépris pour les superstitions populaires, comme ils appellent tout ce qu’ils ne comprennent pas, se sont fait un article de foi d’honorer le premier ancêtre de l’homme sous la forme d’un pseudo-mollusque. Supposez un membre du conseil municipal de Paris qui ne fût pas transformiste : il ne serait pas réélu !

Ce serait faire injure à l’esprit de modération et d’impartialité scientifique dont témoigne le livre de M. de Nadaillac, que d’insister davantage. Contentons-nous donc de dire qu’il a justifié largement la phrase qu’il a mise en tête de sa préface : « Ceci est un livre de bonne foi. » En pareil sujet, le mérite est plus difficile, et de beaucoup, que l’on ne pense.

Nous ne suivrons pas l’auteur de chapitre en chapitre, n’ayant à notre disposition ni l’espace qu’il y faudrait, ni surtout la spécialité de compétence. Mais nous voulons signaler du moins, comme plus particulièrement intéressans et très pleins, les chapitres où M. de Nadaillac a discuté la question si controversée de l’âge, de l’origine, de la signification des monumens mégalithiques, et la question non moins débattue de l’origine de l’homme américain.

Pour les dolmens, cromlechs, menhirs et tous autres monumens du même genre, un simple rapprochement suffit à montrer l’amplitude du champ où se meuvent, s’entre-croisent et se contredisent les hypothèses. Certains savans, d’une part, les ont fait remonter jusqu’à la plus fabuleuse antiquité, c’est-à-dire jusqu’au temps où des races aborigènes aujourd’hui disparues auraient couvert le sol peuplé depuis par les invasions de nos ancêtres aryens, et, d’autre part, il est acquis que quelques tribus de l’Inde, — on cite les Khassias, — continuent jusque de nos jours à planter de ces informes et cependant grandioses monumens. Une distinction, qui, de jour en jour, semble confirmée par des faits nouveaux, peut bien ici servir à guider les investigations. C’est que les expressions trop usitées d’âge de la pierre, âge du bronze, âge du fer désignent moins des époques déterminées dans le temps, et chronologiquement successives pour l’humanité tout entière, que des phases de développement dont la longueur aurait varié selon les races, les milieux et les circonstances. On sait que les Anglais ont été beaucoup plus loin. Ils ont posé comme axiome que les peuplades encore aujourd’hui sauvages qui tombent sous notre observation seraient de si fidèles images de nos propres ancêtres que nous pourrions conclure d’elles à eux, et nous représenter l’état social des Gaulois, par exemple, il y a