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est finie. Dites à M. Kossuth que je regrette infiniment que cette fois la délivrance de son pays doive en rester là ; mais je le prie de ne pas perdre courage, d’avoir confiance eu moi et dans l’avenir. Qu’en attendant il soit convaincu de mes sentimens amicaux, et quant à sa personne et à ses enfans, je le prie de disposer de moi. » — Arrivé à ces derniers mots, la colère de mon âme éclata en un rire amer : Oui, oui, dis-je, voilà bien les têtes couronnées ! On offre quelque chose à ronger à l’homme, et l’on pense qu’il se consolera. Monsieur le sénateur, dites à votre maître que l’empereur des Français n’est pas assez riche pour faire l’aumône à Kossuth, et que Kossuth n’est pas assez vil pour l’accepter de lui. »

On a vingt-quatre heures pour maudire ses juges ; s’il en faut davantage, qu’on les prenne, mais après y avoir réfléchi, Kossuth aurait dû convenir que la paix de Villafranca était l’acte le plus sage, le plus raisonnable, le plus patriotique qu’eût accompli Napoléon III dans tout son règne. C’est une réflexion qu’il n’a eu garde de faire. Quand jadis un char immense promenait autour du temple de Djaggernauth l’idole monstrueuse de Vichnou, des milliers de fanatiques se précipitaient à l’envi sous les roues, heureux et fiers de mourir écrasés par un dieu. Ce ne sont pas eux-mêmes, ce sont les autres que les révolutionnaires immolent de grand cœur à l’utopie qui leur tient lieu de Vichnou. Si l’empereur, nous assure Kossuth, avait été un véritable homme d’état, il eût compris que l’unité allemande était la conséquence nécessaire de l’unité italienne, et il eût trouvé bon que la France s’épuisât d’or et de sang pour détruire, pour anéantir l’empire des Habsbourg, à la seule fin de procurer la liberté à la Hongrie et d’offrir à titre de don gratuit les provinces allemandes de l’Autriche… à qui donc ? Au roi de Prusse, dont le jardin paraît évidemment insuffisant au tribun hongrois. — « Ah ! si l’empereur avait compris tout cela ! quel rôle sublime il aurait joué ! quelle trace il aurait laissée dans l’histoire ! quel souvenir dans le cœur des nations qui par lui auraient recouvré leur indépendance ! Et d’ailleurs ne sait-on pas que la France est un flambeau qui éclaire, tout en restant dans l’obscurité ? Non mihi, sed luceo. N’est-il pas certain que sa mission historique consiste à être le champion de la liberté des autres ? » ~ Dans l’intérêt de l’édition française de ses mémoires, Kossuth aurait mieux fait d’y supprimer ces imprudentes déclarations, qui trouveront peu d’écho. La France, peut-il l’ignorer ? a juré par ses malheurs, par ses désastres, par les champs de bataille de Gravelotte et de Sedan, qu’elle n’était pas assez riche pour payer sa gloire, qu’elle n’en croirait plus les faiseurs de phrases, qu’elle ne ferait plus de la politique impériale, qu’elle s’abstiendrait soigneusement de guerroyer pour une idée ou pour la cause d’un peuple étranger, si sympathique qu’il lui soit, que désormais elle mettrait son honneur à être sagement