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taciturne, contre l’ennemi héréditaire qui s’apprêtait à déchirer les traités. À ces attaques amères, aigres, virulentes, on répondit d’abord avec une fierté dédaigneuse, puis sur un ton plus bénin. Ces réponses ne servirent qu’à attiser le feu, et les perplexités de l’empereur n’étaient que trop justifiées.

Ce qui le rassurait un peu, c’étaient les nouvelles presque satisfaisantes qu’il recevait de Berlin. Fidèle à ses ressentimens, la Prusse, qui se souvenait d’Olmütz, paraissait blâmer la surexcitation fiévreuse des petites cours et des journalistes. Quoiqu’elle eût, par mesure de précaution, mobilisé son armée, on pouvait espérer qu’elle assisterait aux événemens l’arme au bras et qu’elle laisserait l’Autriche se tirer toute seule d’affaire. Le jour où il conféra avec Kossuth, l’empereur avait ou tâchait d’avoir quelque confiance dans les amicales dispositions du cabinet de Berlin, et l’ex-dictateur n’eut garde de le détromper. Il insinue même dans ses mémoires que cette confiance était fondée, que Napoléon III aurait pu pousser à fond de train la guerre contre l’Autriche, sans que la Prusse renonçât à sa neutralité. Nous nous permettons de ne pas l’en croire. Le jeu de la Prusse était fort simple, fort naturel, très conforme à ses traditions nationales, dont elle ne s’écarte jamais. Elle voulait se faire acheter son concours, elle le mettait à prix, et certes il en valait la peine. Elle avait alors un ministère libéral, qui devait compter avec les sentimens des chambres, et les députés prussiens étaient médiocrement disposés à donner des hommes et de l’argent pour conserver à l’Autriche ses possessions italiennes. La cour de Vienne ne pouvait venir à bout de leur mauvais vouloir qu’en se résignant à quelque sacrifice. C’est à quoi elle n’entendait pas, elle ne voulait renoncer à aucun de ses avantages ni en Allemagne ni en Italie, elle prétendait tout recevoir sans rien offrir, et les Prussiens n’ont pas l’habitude de donner sans recevoir.

Nous tenons de bonne source que, quand l’archiduc Albert se présenta à Berlin pour y annoncer qu’un ultimatum venait d’être signifié au Piémont et pour proposer un accord, le prince-régent le renvoya à son ministre des affaires étrangères le baron de Schleiniz, qui lui dit en substance : « A titre de confédérés, nous ne vous devons rien et nous ne ferons rien ; mais, si vous voulez conclure avec nous un traité conventionnel, nous pourrons nous arranger. » C’était dire en d’autres termes : « Donnant donnant ; si vous désirez que nous vous prêtions main-forte, résignez-vous à partager avec nous la présidence de la confédération germanique ou à nous accorder l’union étroite avec les petits états du Nord. » L’Autriche refusa, elle ne comprenait pas encore toute la gravité du péril qui la menaçait ; mais, comme l’a dit un diplomate, « si on comprenait toujours, il n’y aurait point d’histoire. » Après la bataille de Magenta, elle revint à la charge, la même réponse lui fut faite.