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LES SOUVENIRS
D'UN
REVOLUTIONNAIRE

Il y a deux espèces d’hommes, ceux qui ne changent pas et ceux qui changent. Ces derniers sont de beaucoup les plus nombreux et les plus sages. Nous ne parlons pas de ceux qui ont du décousu dans la pensée ou dans la conduite, et dont les variations s’expliquent par la versatilité de leur humeur, par l’inconstance de leurs goûts. Nous n’en tendons louer que les variations raisonnables et raisonnées, auxquelles se résignent de bonne grâce les esprits réfléchis, qui acceptent les leçons de la vie et se laissent mûrir par le temps. Il faut se défier des hommes qui ne se sont jamais trompés, jamais, ravisés. Le changement, disait un grand orateur, est a la loi du pays que nous habitons. » Sa férule à la main, l’expérience, cette souveraine et rigoureuse maîtresse, nous prêche impérieusement le repentir. Mais il y a des cerveaux durs, des cerveaux de granit, réfractaires à tous les avertissemens de la destinée ; il y a des volontés superbes, qui font gloire de ne jamais fléchir ; il y a des orgueils intraitables, qui n’acceptent de leçons de personne, pas même des événemens. Il y a aussi des imaginations incurablement romanesques, éternellement éprises de leurs songes, dont rien ne peut les dégoûter. Elles se sont promis de faire à leur façon le bonheur de l’humanité, et en vain l’humanité repousse le bonheur qu’elles lui offrent, en vain leur roman est condamné par l’histoire et par le monde, leur sublime entêtement résiste aux plus