sources du Niger jusqu’à Tombouctou. Ils sont très fiers de cette page de leur histoire et se souviennent avec non moins d’orgueil que de Bakel au lac Guier ils formaient autrefois une confédération puissante qui dominait tout le bassin du Sénégal, Or c’est nous qui avons imposé une barrière infranchissable sur ce fleuve à leur prophète, c’est nous qui avons rompu leur confédération et en avons détaché successivement le Toro, le Damga, le Lao et l’Irlabé occidental. De là, dans une partie du peuple toucouleur, une haine d’autant plus vive que l’amour-propre national est plus grand ; toute innovation venant de nous est considérée comme une menace et est assurée d’avance de leur mauvais vouloir. Les chefs ont conscience de notre force et, amollis par la fortune, sont moins fanatiques que leurs sujets ; mais pour conserver leur pouvoir il leur faut flatter cette haine, tout en évitant habilement les occasions d’entrer en lutte ouverte avec la France.
Quand M. Jacquemart arriva sur les frontières du Bosséa, le chef Abdoul-Boubakar, sous prétexte de ne point l’exposer à des dangers certains, lui fit défendre d’y entrer. On palabra trois jours ; devant l’énergique attitude de cet officier on se décida enfin à le laisser passer. Abdoul déclara à notre envoyé que, si le gouverneur persistait à vouloir construire un télégraphe dans son pays, toute la population émigrerait soit sur la rive droite du Sénégal, soit vers les colonies anglaises de la Gambie. M. Jacquemart lui répondit fort bien qu’un peuple ne quittait que par la force un territoire depuis si longtemps possédé par sa race et que nous n’avions que des intentions de paix. Cependant cette menace n’était pas tout à fait vaine. Les gens du Bosséa ne nous connaissent pas ; dans beaucoup de villages, M. Jacquemart était le premier Français qu’on eût jamais vu ; ils sont donc faciles à tromper. Le télégraphe leur est apparu comme je ne sais quelle effrayante machine d’oppression, ils se sont imaginé que nous voulions nous emparer de leur pays et les accabler de corvées et d’impôts. Quelques mois après, un naturaliste envoyé à Segou par le ministre de l’instruction publique, M. Lecard, parcourant le Diafounou, y rencontra des émigrans du Fouta que ces folles terreurs avaient fait fuir et qui répandaient partout leur crainte et leur haine des Français. C’est là un ennui plutôt qu’un obstacle, car les Toucouleurs sont trop affaiblis pour tenter une résistance à main armée. M. Jacquemart est d’avis, et le gouverneur espère, que des relations plus fréquentes et des cadeaux habilement placés auront raison de cette difficulté.
Le voyage de M. Monteil est un véritable voyage d’exploration. Le territoire compris entre le Sénégal, la Falemé, le lac Guier et la Gambie forme le vaste plateau du Ferlo, que n’arrose aucune rivière.