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ne repose naturellement sur aucunes données précises : cependant, à s’inspirer des suggestions des voyageurs, il semble qu’on peut l’accepter comme une approximation satisfaisante. Il ne faut donc point, comme on l’a fait quelquefois, comparer le Soudan à l’Inde, car la population de celle-ci est de beaucoup plus nombreuse, plus laborieuse et plus civilisée. Il est mauvais d’exagérer, fût-ce en vue de forcer l’attention, mais tel quel le Soudan n’en est pas moins un marché de premier ordre, bien fait pour exciter l’ambition d’une grande nation.

A quoi tient qu’un pays d’une telle importance soit encore fermé aux Européens ? C’est que la nature, qui lui a accordé tant de dons, lui en a refusé un dont l’absence rend tous les autres inutiles : le Soudan n’a point de débouchés naturels. Le Niger est la grande artère par laquelle la vie circule dans la partie occidentale et dans le centre ; avec quelques canonnières et un certain nombre de postes de ravitaillement de distance en distance, on dicterait des lois à toute la région ; le tout est d’y atteindre, ce qui est impossible jusqu’à présent. Au nord, un désert terrible de 1,800 à 2,000 kilomètres de traversée ; à l’est et à l’ouest, de trop grandes étendues ; au sud, une côte très difficile à aborder et excessivement insalubre, des populations inhospitalières opposent au grand commerce des obstacles infranchissables. Un moment, les Anglais avaient espéré pénétrer par l’embouchure du Niger, mais leurs bâtimens ont dû s’arrêter aux cataractes de Boussa, et même entre Boussa et la mer ; le climat meurtrier du Delta rendra toujours précaire une entreprise conduite par des blancs. Il y a quelques années, les Européens employés dans la rivière de Brass périrent jusqu’au dernier pendant l’hivernage. Ainsi, de tous côtés, la nature avait fermé ce vaste et riche pays. Il a fallu les grandes inventions du XIXe siècle pour qu’on puisse songer à supprimer ces barrières ; aujourd’hui l’homme peut se passer de la nature ; là où elle n’a point ouvert de grandes voies de communication, il en crée d’artificielles ; les chemins de fer suppléent aux fleuves qui manquent ; ils annulent les horreurs de la traversée des déserts et abrègent les espaces.

Trois têtes de lignes sont indiquées pour une voie ferrée dirigée sur le Soudan : Tripoli, l’Algérie et le Sénégal. Ces deux dernières sont en notre possession. Ce précieux avantage constitue pour nous une obligation ; tenant ces deux portes du Soudan, c’est à nous qu’il appartient de l’ouvrir à la civilisation ; il y va de notre honneur aussi bien que de notre intérêt. Depuis une vingtaine d’années, cette nécessité apparaissait à nombre d’esprits sans qu’on parvînt à appeler sur le problème l’attention du gouvernement ni celle du public, lorsqu’en 1877, un ingénieur en chef des pouts et chaussées, M. Duponchel, obtint de l’administration l’autorisation de se