Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 42.djvu/663

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

apporter la page suspecte : elle offrait un fort intéressant croquis de la scène si bien exposée par Tite-Live : au milieu, le grand pontife, la tête voilée ; à côté de lui, Décius qui s’élance ; à droite, les Romains tous penchés dans le sens de l’attaque ; à gauche, les ennemis décontenancés et regardant en arrière… Fallait-il gronder beaucoup cet enfant-là ? Il avait fort bien écouté, il avait pris des notes selon sa manière, qui était spirituelle. Ce n’était pas un futur historien. Il s’appelait Ludovic Halévy.

Nous n’aurons omis aucun des élémens de la judicieuse méthode le plus ordinairement suivie dans notre enseignement secondaire si nous ajoutons que chaque leçon devient, à la classe suivante, le sujet d’interrogations et de nouveaux développemens. C’est là que peuvent se placer des lectures choisies ; des scènes de Shakespeare, comme celle du discours d’Antoine, des récits de Joinville, des chapitres de Montesquieu, bien lus, bien commentés, en apprendront beaucoup à tous les élèves sans exception, et leur inspireront peut-être le goût de la lecture, qui peut devenir à lui seul, pour certains esprits, le levain et la sève. On ne néglige pas impunément ce puissant moyen de culture intellectuelle et de vie intérieure ; il est délaissé dans notre éducation universitaire ; il est délaissé dans nos familles ; il est délaissé dans la nation. L’Angleterre et l’Allemagne lisent plus que nous : on n’a qu’à observer à Londres l’étonnant succès de la Circulating Library du libraire Muddie. Il y a là chez nous un mal réel qu’un peu plus de liberté dans l’enseignement pourrait servir à corriger. Nous avions jadis à Charlemagne un professeur de troisième, M. Loudierre, qui consacrait à des lectures près d’un quart d’heure par classe : pour combien fallait-il compter ces intéressantes et fécondes leçons, ce vrai cours de littérature, dans les succès devenus légendaires de notre lycée ?

La lecture amènerait les commentaires et les utiles entretiens, sous la direction du maître. La conversation, de nos jours, est aussi désertée que la lecture. On ne converse pas dans nos écoles primaires, malgré d’intelligens conseils ; on ne converse pas dans nos lycées, sous prétexte de je ne sais quelle discipline ; on ne converse pas dans nos familles : on y discute, hélas ! et on y dispute. Il semble que ce serait l’attribut naturel, — non le privilège exclusif, — du professeur d’histoire de se servir de la conversation. Sobrement pratiquée, elle répandrait dans nos classes la variété, elle sèmerait la confiance, elle donnerait place à une multitude de ces notions pratiques qu’on cherche à répandre dans l’enseignement primaire sous le nom de leçons de choses ; elle compenserait en quelque mesure, pour certains enfans, le manque déplorable des entretiens de la famille.