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ce courant et ne pas chercher à le remonter ; il le fallait surtout quand il s’agissait de la magistrature, dont le pays ne désirait pas le renversement, que le pays estimait, qu’il entourait de ses respects, parce qu’en dehors de la politique elle avait fait son devoir, qu’elle l’avait fait loyalement, honorablement ; qu’elle jouissait en France d’un bon renom, et qu’à de très rares exceptions près, elle avait donné l’exemple de la vertu. À une loi organique apportant des réformes profondes, qu’avait substitué l’assemblée ? Un projet de loi réduisant le personnel et laissant debout l’institution tout entière. L’orateur faisait remarquer qu’ainsi on allait présenter au pays une loi qui, n’ayant que le titre d’organisation judiciaire, sous prétexte d’organiser la justice, « laisserait tout debout et détruirait, en même temps que les abus seraient respectés, ce qui pouvait les rendre moindres, c’est-à-dire la garantie de l’inamovibilité judiciaire. » Répondant aux souvenirs évoqués par M. Crémieux, il soutint que la restauration avait péri parce qu’elle s’était jetée dans cette voie de réaction et de persécution. « Avez-vous pu méconnaître, lui dit-il, à quel point avaient été impopulaires les épurations opérées par la restauration sur la magistrature de l’empire ? Est-ce que cela n’a pas été contre la restauration un reproche perpétuel dont jamais elle ne s’est justifiée ? Eh bien ! que vous conseille-t-on encore une fois ? On vous conseille d’imiter ces précédens, de déclarer vacante la totalité des places de la magistrature, de mettre aux mains du ministre de la justice le sort de deux mille fonctionnaires et de leurs familles, de prendre une mesure qui serait révolutionnaire sans être réformatrice, qui ne serait qu’un changement de personnes et qui ferait croire que le gouvernement de la république n’est qu’un gouvernement de créatures. »

La cause était gagnée, et le rapporteur, M. Boudet, fut impuissant à détourner l’assemblée d’adopter l’amendement de M. de Montalembert : 344 voix contre 322 proclamèrent le maintien de l’inamovibilité.

La majorité était-elle formée de voix coalisées contre la république ? Nullement. On comptait dans son sein des républicains éprouvés, des libéraux de vieille date, tels que MM. Barthélémy Saint-Hilaire, Leblond, Pagnerre, Édouard et Oscar de Lafayette, Ferdinand de Lasteyrie, Victor Lefranc, Guichard, Ferrouillat, des hommes comme Edgard Quinet et Victor Hugo. Tels étaient ceux qui, avec Jules Favre, à côté de MM. Dufaure et de Tocqueville, avaient voulu épargner à la république une perturbation qui aurait pu hâter sa perte.

En se déclarant favorable à l’inamovibilité, l’assemblée nationale avait condamné la loi ; en refusant de passer à une troisième